La seule chose de bien, c’est de ne pas avoir vu ça en direct…
Je ne veux pas juger le travail de Madame Bouzar, ni Farid Benyettou. Tout comme je persiste à croire qu’il existe des gens qui soient capables, vraiment capables, de se remettre en question et de se couper des idéologies totalitaires qui ont su les séduire, leur faire miroiter qu’ils étaient parties intégrantes dans un projet grandiose destiné à passer les siècles et les millénaires. Mais ceux-là sont très peu nombreux. Ainsi que l’a souligné, récemment, l’ancien prisonnier de Guantanamo devenu éducateur spécialisé dans la prévention contre le Djihad, Mourad Benchellali, je pense que seule une introspection sincère permet de se défaire d’une idéologie aussi dévastatrice qu’est le Djihadisme.
Lorsque l’on a voulu procéder à une dénazification de l’Allemagne en réalisant la partition qu’on saura douloureuse pour ses habitants, donc en livrant une partie de la population à ce Bloc de l’Est sous influence soviétique, dont les soldats s’étaient livré à un nombre de viols massifs sur des Allemandes, on n’a pas pour autant effacé la propagande nazie qui régnait alors dans les esprits. Lorsque la sélection de la RFA gagnât la Coupe du Monde de Football ( en 1954, Berne) ses joueurs ont entonné le premier couplet du Deutschlandlied tellement ils étaient euphoriques, celui qui commence par » Deutschland, Deutschland über Alles, Über Alles In Der Welt » ( Allemagne, Allemagne, au-dessus de tout/ Au dessus de tout dans le monde) et qui était l’hymne officielle lorsque le NSDAP était au pouvoir.
En réalité, ladite dénazification n’a consisté qu’à traduire devant la justice d’anciens hauts-cadres du régime nazi. Si les crimes de masses que l’on sait ont eu un retentissement, ça n’a touché que la génération d’Allemands suivante qui a voulu faire un travail sur elle-même. Bien que depuis la réunification la désormais ex-Allemagne de l’Est, où règne aussi une Ostalgie, on ait pu observer la percée de mouvements ouvertement néo-nazis ou du moins sympathisants. Sans oublier, non plus, que le communautarisme Turc et maintenant la Question des Migrants sont des vecteurs de cette tentation xénophobe.
Le propre d’une idéologie est de vouloir tout contrôler, ça nous le savons. Ce que nous avons tendance à oublier est que des gens qui ont été élevés dans des systèmes totalitaires, ou bien dans des idéologies qui aspirent à l’être, gardent des représentations, des réflexes, et des automatismes, quand bien même ils en viennent à condamner sincèrement les crimes commis ( mais certains parlent déjà d’erreurs). Il a d’ailleurs été très dur de désendoctriner ceux qui sont passé par les Hitlerjugend, comme il le sera autant- voire peut-être plus- avec les Lionceaux du Califat.
Les adultes ont-ils une meilleure capacité à se défaire? Je ne suis pas psychologue. J’ai toutefois l’idée que ça dépend d’un grand nombre de facteurs:
1) de la personnalité d’un individu: à savoir que pour un tempérament fort, un esprit critique, quelqu’un d’influençable ou de naïf, ou une personne souffrant d’une maladie psychique, les capacités de se remettre en question vont varier.
2) du degré d’implication aussi: selon si on a posté depuis son canapé en France des vidéos à la gloire de la Dawla ou d’un émir d’Al-Qaida, ou selon si on est un trentenaire radicalisé en prison qui s’est filmé en train de décapiter un pauvre quidam sur Raqqa ou qui a prit goût à tuer, il y a déjà une différence.
Le livre de l’ex-djihadiste David Vallat allait aussi dans ce sens ( lui dit s’être remis en cause en y allant par palier, successivement). Cependant, le même David Vallat ne s’est pas affiché sur un plateau de télévision en portant un t-shirt en mémoire des victimes de l’attentat du RER B en 1995.
Que l’ex-mentor des Frères Kouachi soit sincère ou non dans son repentir autant être franc et lui dire tout de go que jusqu’à son dernier souffle il éveillera la méfiance et les soupçons des gens. C’est malheureux à dire pour ceux et celles qui sont des repentis sincères, mais c’est ainsi. Maintenant, l’idée de choisir la deuxième date d’anniversaire des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, qui ont fait 17 morts, afin de présenter un livre co-écrit avec Dounia Bouzar était- excusez du peu- totalement déplacé. En comparaison le Charlie Coulibaly de Dieudonné, qu’on a connu bien plus drôle, tenait plus de la blague douteuse qu’il aurait mieux valu tenir justement pour que ça transparait, quelque chose d’insignifiant, au lieu d’en faire un pataquès qui le conforte dans ce qu’il n’est pas- un leader anti-système- et de prendre en plus de ça au sérieux des théories du complot risibles de chez risibles.
Non, le traumatisme est encore trop présent. Jour après jour nos figures politiques imbuvables font leurs campagnes avec des propositions-chocs et absurdes qui font le lit du fléau, en plus de nous avoir réduit en peau de chagrin nos libertés publiques.
De plus, si encore Farid Benyettou ne serait qu’un ancien djihadiste repenti impliqué dans une affaire datant d’au-moins dix à quinze années, peut-être- hypothétiquement peut-être- que ça serait encore passé…
Or, il s’agit de l’homme qui est décrit comme l’ex-mentor des Frères Kouachi. Autant dire, vu comme l’homme qui leur a inséré mentalement des AK-47.
Un homme qui a envoyé des jeunes gens au Djihad, et qui outre d’avoir servi comme échelle aux Frères Kouachi pour Al-Qaida en Péninsule Arabique ( commanditaires de l’attentat de Charlie Hebdo; Coulibaly n’a été reconnu que comme sympathisant de l’EI)…il a été aussi le boss de Boubaker El-Hakim dans la même filière des Buttes-Chaumont. Dans l’univers djihadiste Boubaker El-Hakim, récemment droné, n’était pas n’importe qui: candidat au djihad en Irak lors de l’invasion US, il n’en est pas moins le planificateur des assassinats des militants politiques tunisiens Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi…et son nom apparait aussi dans les dossiers concernant l’attaque du Bardo et les attentats du 13 Novembre à Paris.
Boubaker El-Hakim était le plus haut gradé parmi les Français de l’EI.
Alors dire aujourd’hui » Je regrette » devant les caméras ou arborer un badge » Je suis Charlie », je crains bien que ce soit un peu faire preuve de légèreté. Concernant, Mme Bouzar, je crains aussi que cette » initiative » était prématurée de chez prématurée.