Interview de Phénix

Questions posées à l’écrivain et observateur Phénix.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Phénix, je partage mon temps entre la France, la Grande-Bretagne et l’Amérique du Nord. Avant de commencer à écrire, j’ai vécu dans plusieurs régions de monde. J’ai commencé ma carrière en Europe de l’Est quelques semaines avant la chute du mur, puis j’ai habité en Amérique Latine, en Asie et au Moyen-Orient. Toutes ces expériences ont nourri mon imaginaire et alimenté ma passion pour la géopolitique, les religions, les cultures, mais aussi le renseignement et le domaine militaire.

Qu’est-ce qui vous a amené à écrire des romans sur des sujets géopolitiques ? Y-a-t-il eu un contexte précis ? Ou vous êtes-vous inspiré d’un auteur ? D’ailleurs, si vous deviez citer un auteur ce serait ?

J’écris des romans d’espionnage et d’aventures qui s’inspirent de l’actualité la plus brûlante et s’inscrivent dans une certaine géopolitique, de façon à peindre l’univers le plus réaliste possible. Mon but est de rendre le roman si crédible que le lecteur, à la fin du livre, ne sache plus faire la différence entre ce qui est vrai et documenté, et ce qui est fictif. Enfant, j’ai baigné dans la confrontation entre les cultures, les points de vue, les façons de voir le monde. La géopolitique, ce n’est jamais que l’histoire vécue au présent et nourrie par les tensions entre les protagonistes. Quant à mes influences littéraires, elles sont multiples, et la liste serait très longue. Toutefois, pour rester sur la géopolitique, le maître de l’espionnage, c’est John Le Carré, de même que Tolstoï et Flaubert sont ceux du réalisme historique. Ils sont incontournables.

Dans vos deux premiers romans, Code Némésis et Hubris, on a le sentiment que vos deux personnages principaux servent pour analyser les situations à l’intérieur et à l’extérieur de la France ?

Je dirais probablement les trois : Antoine Maréchal, un professeur d’université avec un passé de commando marine, Lucie Sanchez, une flic qui a commencé dans les cités, et Arnaud Clément, un jeune idéaliste converti à l’Islam. Ils sont dans l’action, pas dans le discours. Le premier veut retrouver son fils, la seconde veut mettre la main sur l’auteur d’un attentat manqué, et jusqu’au dernier moment, on se demande ce que cherche le troisième. Après, oui, j’essaie de montrer la réalité « extra-hexagonale » de façon moins formatée ou convenue, en essayant de démolir les stéréotypes et les grandes vérités qui ont construit notre vision française du monde, et cette réalité « extérieure » est elle-même inséparable de son pendant « intérieur ». On ne peut pas comprendre l’État islamique sans analyser l’invasion américaine de l’Irak et l’impact sur le parti Baath, on ne peut pas appréhender les attentats de 2015 en France sans évoquer les rivalités entre Européens au sein de Daech, on ne peut pas isoler les tensions communautaires en France de celles qui existent de par le monde, ou refuser de voir le lien entre l’intervention russe en Syrie et la fin de l’État islamique.

Cela vous prend-il beaucoup de temps pour compiler et croiser vos sources ?

Compiler, non. Croiser, oui. Les individus et les régions au cœur de mes romans sont souvent l’objet de légendes, de rumeurs, de multiples contradictions. Si vous prenez la biographie d’Oussama Ben Laden par exemple, vous avez l’un des plus grands fugitifs de l’histoire. Il a réussi à échapper aux Américains pendant dix ans en dépit des 300 milliards de dollars dépensés pour sa capture. Or, toute sa vie reste drapée de mystères. Que ce soit son enfance en Arabie Saoudite, ses séjours au Soudan ou en Afghanistan, ses voyages dans la corne de l’Afrique, en Angleterre, ou aux États-Unis, les témoignages varient et ne se ressemblent pas. Donc, une recherche très fouillée est nécessaire pour respecter le « contrat » avec le lecteur.

Autre fait rare, avec Benjamin Dierstein vous incluez des personnes réelles dans vos récits. Certaines d’entre-elles ont-elles réagi ?

Pas courant peut-être, mais rare, non. Mêler des personnages réels et fictionnels, imbriquer leurs existences et leurs parcours, ça existe depuis longtemps. Le meilleur exemple, c’est Dumas. Mais aussi Balzac, Tolstoï, de nombreux romanciers modernes d’espionnage, et même Diderot. J’ai juste ma manière à moi… Après, le monde change. Depuis un certain temps, les personnages publics ont décidé d’orchestrer leurs mises en scène. Alors, si je les utilise pour exacerber le réalisme de l’histoire où évoluent mes personnages imaginaires, j’utilise aussi les fictifs pour remettre les « réels » à leur place.

Je sais que certains des personnages réels ont lu les romans dans lesquels ils apparaissent, mais ils ne m’en ont pas fait part. En revanche, lorsque mon dernier roman (qui traite de Whitney Houston et d’Oussama Ben Laden) sera traduit en anglais, je m’attends à ce que certains se manifestent.

Votre dernier roman est une uchronie basé autour d’une anecdote qu’on raconte à propos de l’admiration d’Oussama Ben Laden pour Whitney Houston. En le lisant, on en vient à se dire que concrétisé ou non ce projet d’enlèvement n’aurait en rien enlevé sa détermination de frapper l’Occident. Et vous rappelez que le Soudan, Égypte, et aussi des personnages troubles comme Hassan al-Tourabi ou Omar El-Béchir- si je ne m’abuse- ont joué des rôles importants dans sa trajectoire ?

Oui, c’est un projet qui nous tient particulièrement à cœur, à mon éditeur et à moi. C’était au début des années 2000, et j’étais tombé par hasard sur un article repris d’un journal américain ou britannique révélant que, selon les dires d’une ancienne maîtresse, Oussama était follement amoureux de Whitney Houston, qu’il envisageait d’aller la voir en Amérique pour lui demander d’être sa femme et, si nécessaire, d’assassiner son mari. J’ai eu l’idée d’imaginer la suite. Et m’en servir comme prétexte pour raconter une époque, la naissance d’al-Qaïda, le culte des célébrités, la mutation de l’Islamisme, les tensions entre services de renseignement, tout ce qui va constituer l’architecture du début du 21e siècle. « L’Enlèvement de Whitney » est un mélange de genres, espionnage, aventures, amour et biopic, voire l’invention d’un nouveau genre, le roman « Jihad Pop ».

Le Soudan n’est pas un pays familier pour beaucoup de gens. On oublie que Hassan al-Tourabi avait rêvé d’en faire le centre de l’islamisme et du terrorisme mondial, que la Moukhabarat soudanaise avait des ramifications dans tous les pays du monde arabe et même en Europe, et enfin que le gouvernement français les a assistés en échange de leur coopération dans l’arrestation de Carlos. Or, sans la guerre d’Afghanistan et le Soudan d’al-Tourabi, pas d’al-Qaïda.

Vous avez écrit des articles pour le Huffington Post et Slate. Quel regard portez-vous sur la situation internationale, sur le rôle de la France, et sur les enjeux auxquels sont confrontés nos services de renseignement ?

La situation internationale ? Changement climatique, enjeux énergétiques et guerres asymétriques : ceci constituera notre futur pour les 20 à 30 prochaines années. Quant à l’occident : vivre à cheval entre la réalité et l’utopie conduit à la schizophrénie, d’où la nécessité impérative d’un retour à la Realpolitk. Du point de vue européen, la fin de l’innocence et des illusions sur la situation du monde. Enfin, sur le rôle de la France, d’abord il faut une politique étrangère. Nous n’en avons plus depuis 2007. Les gouvernements successifs ont considéré qu’il fallait fêter la fin de la guerre froide, prêcher la bonne parole et promouvoir nos valeurs universelles. On voit le résultat. Pour faire face à un monde multipolaire, après 30 ans de baisses des budgets de défense et du corps diplomatique, la seule façon de remonter la pente, c’est de relancer la dynamique des services de renseignement : identifier les menaces, les prévenir, les contrer, offrir les bonnes analyses et les informations pertinentes au gouvernement pour l’aider à faire les bons choix diplomatiques et militaires. Dans un monde dominé par des pays-continent aux dépenses militaires époustouflantes, le renseignement est l’arme indispensable des puissances moyennes. Et quand ils faillissent ou que les politiques les ignorent, c’est grave. On a bien vu ce qui s’est passé en février, avec les initiatives de notre président qui ont décrédibilisé le pays vis-à-vis de ses alliés et ses ennemis.

Où en est la situation entre les Taliban et la Chine ? L’EI est-il toujours en force de takfiriser les Taliban en dénonçant ses compromissions avec un régime qui persécute la minorité Ouïghour ?

Comme je l’expliquais il y a un an, Daech-Khorasan aimerait bien décrédibiliser les Taliban. Mais tout a changé le 24 février 2022. Personne ne s’intéresse plus au sort de l’Afghanistan, la Chine doit repenser sa stratégie militaire vis-à-vis de Taïwan, et les Ouïghours continuent à être persécutés, mais tout le monde s’en moque.

Pouvez-vous réexpliquer en quoi la Guerre en Ukraine, en fin de compte, arrange les pays pétroliers du Moyen-Orient ?

La guerre et les sanctions occidentales ont entraîné une hausse généralisée des prix du pétrole et du gaz naturel. Les pays du golfe ont besoin de beaucoup d’argent pour financer leur transformation économique dans un monde de l’après-pétrole. Donc, la hausse des cours les arrange. De plus, les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sont au plus bas, et la Russie, en dépit de la rhétorique occidentale quant à son prétendu isolement, est vue par de nombreux pays de la région comme un acteur beaucoup plus fiable que l’Amérique. L’Occident n’en finit pas de découvrir le monde, non pas comme il le rêverait, mais comme il l’est vraiment. En cela, la guerre en Ukraine est vraiment un accélérateur des consciences.

L’ancien directeur de la Direction du Renseignement Militaire a-t-il servi de bouc émissaire pour dissimuler un échec pour lequel la DGSE pourrait aussi être pointée ? Et ne sommes-nous pas, nous européens, trop dépendants du renseignement américain ?

Le général Vidaud n’est resté que sept mois à la tête de la DRM, après être passé, entre autres, par le cabinet de Le Drian et le COS. Donc, il est dur de lui faire porter seul le chapeau. C’est une défaillance de la DRM, de la DGSE, mais aussi du corps diplomatique, du quai d’Orsay, et surtout de l’Élysée. Que ce soit à Moscou ou à Paris, lorsqu’on choisit de mener sa propre politique étrangère à l’intérieur de son palais sans écouter personne, ça se termine mal.

Sur le renseignement électronique, bien sûr, nous sommes trop dépendants des Américains, mais certains efforts ont été faits depuis quelques années en termes de capacité et d’écoute satellitaire. Sur le renseignement humain, là, en revanche, on n’a aucune excuse. Mais encore faut-il un exécutif qui écoute ses services de renseignement.

Comptez-vous écrire plus tard sur d’autres endroits de la planète, ou sur d’autres thèmes ? Avez-vous des projets en préparation ?

Deux projets. Le premier raconte l’histoire d’al-Qaïda depuis ses débuts à travers le regard d’un personnage hors du commun ; et le second est un thriller en temps réel qui se déroule à Kiev. La suite très bientôt…

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