La Tentation du Clown

Emmanuel Macron a été le premier faux clown. C’est un vieux qui s’est déguisé en jeune, un faux disprupteur qui se fait soutenir par le CAC 40, un mec de droite qui se fait passer pour socialiste, un faux représentant de la société civile qui en vérité était l’incarnation de la noblesse d’État, un faux start-uper qui aime les grands banquiers et les capitaines d’industries. En 2022, ils seront pléthore sur sa ligne de départ, tant qu’à être divisés, autant miser les egos. Macron à ouvert le bal. Propos rapportés de Benoît Thieulin, La Tentation du Clown de Laetitia Krupa ( p.122).

Si dans le futur un(e) historien(ne) se penche, tête prise entre les mains, pour trouver un début de piste pour comprendre le climat hystérique actuel, alors le livre de Laetitia Krupa journaliste et intervenante sur plusieurs chaînes sera sans doute un bon début. Il y a aussi en amont le concept d’Américanisation des mœurs, le film Idiocracy et indirectement l’étude polémique sur la baisse de QI des Français. Autre piste, idée personnelle, est celle du nivellement par le bas promu par les émissions de télé-réalité depuis Loft Story. Ceci plus les novlangues en pagaille- texto, SMS, Snapchat, écriture inclusive, néologismes de militants politiques, anglicismes- qui s’entrechoquent en permanence au détriment de la langue française.

Mme Krupa explore donc la figure du Clown, ou la tentation de voter pour. Le Clown c’est un candidat hors système, non issu en principe d’une classe politique tenue pour défaillante ( sauf cas de Boris Johnson et de jaïr Bolsonaro), et dont le programme que des âmes un minimum éduquées tiennent pour délirant, hors sol, finit au contraire par séduire les plus désespérés, les laissés pour compte, ou hélas un pan de la population qui a des griefs contre une autre. La 1ère partie de l’ouvrage parle du cas des clowns parvenus à se faire élire au pouvoir à l’étranger.

On a bien sûr le cas non moins emblématique de Donald Trump, véritable Roi des Trolls sur Twitter qui lui servît de plateforme pour son agit-prop surréaliste et véhémente envers les médias mainstreams alors accusés de véhiculer des fake news. L’accession au pouvoir de Trump tient d’un coup de bluff incroyable: fils d’une famille qui a fait fortune, et qu’il a été lui-même en faillite, qu’il était sous le coup d’affaires, il parviendra à infuser dans les esprits qu’il est un self-made-man. Lui qui a cotoyé le gotha de la société américaine par son émission de télé-réalité et ses apparitions dans des productions hollywoodiennes.

Le livre revient sur l’écho porté par le Joker de Todd Phillips, où l’archennemi de Batman est présenté sous un angle différent de celui qu’on a coutume de connaître. Au-delà des analyses à la Juan Branco, il est vrai que le maquillage arboré par le génial Joaquin Phœnix a été entr’apperçu lors de manifestations contestataires et c’est un contrepied total au Joker machiavélique et destructeur incarné par Heath Ledger dans le Dark Knight de Nolan. Ce dernier est une allégorie du chaos sous forme de terrorisme fou. Celui incarné par Phœnix est un laissé pour compte du néolibéralisme des années 80 qui bascule petit à petit dans la folie, et en qui des gens s’estimant mis de côté peuvent s’identifier.

Lors de sa première campagne en 2003 en vue de briguer son premier mandat de Gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger avait utilisé des répliques dignes des blockbusters qui ont fait sa notoriété ( les trois premiers volets de la saga Terminator, Total Recall, Conan le Barbare; Commando, Predator). Les Californiens avaient d’ailleurs eu quelques nombre candidats atypiques, comme Gary Coleman qui jouait Arnold dans Diff’rent Stroke ( Arnold&Willy) ou Larry Flynt le magnat du Porno qui défiât l’amérique puritaine. Schwarzie se sera illustré dans cette campagne en brandissant des balais sur fond de  » cleaning house » scandés.

Il y a Volodymir Zelensky en Ukraine. Zelensky, acteur du petit écran, incarnait un professeur idéaliste qui devient président grâce à ses élèves. Zelensky annoncera sa candidature à trois mois des élections présidentielles qui verront le départ d’un Porochenko englué dans des scandales de corruption, et surtout Zelensky se basera sur le même programme défendu par le personnage qu’il incarnait à l’écran. Même les scénaristes de Black Mirror n’avaient pu imaginer cela: la disparition de la frontière qui séparait la réalité de la fiction.

Plus près de nous, en Italie, plus proche d’un Dieudonné que de Coluche l’humoriste Beppe Grillo a su modifier le paysage politique avec ses saillies enflammées, ses agitations bouffonnes, et un parti hybride, lunatique, en est né: le Mouvement 5 Étoiles qui entremèle des revendications liées à la Démocratie Directe, citoyennes, écologiques, assez progréssistes pour les LGBT, un tantinet xenophobe eu égard à la problématique migratoire. Les bouffonnades de Grillo se verront effacées par le jeu d’alliances avec d’autres partis institutionnels, comme avec la Ligue du Nord conduite par Salvini pour ce qui concerne le gouvernement, ou bien dans la gestion de Rome par la mairesse Viriginia Raggi avec laquelle les administrés savent pas trop sur quel pied danser. Grillo est retiré de la vie politique et a depuis passé le flambeau à Luigi Di Maïo qui est son antagonisme: plus calme et quasiment institutionnalisé par le système pourtant haï; L’Italie a une longue tradition de populisme, incarné à gauche par ce qui fut le Parti Communiste Italien qui avait dû prendre ses distances avec l’URSS afin de perdurer, et à droite par des mouvements fascistes tels que le MSI devenu Alliance Nationale ou bien par l’extravaguant Silvio Berlusconi qui tenait des propos xenophobes tout en étant le propriétaire du club de football disposant du plus grand nombre de joueurs étrangers ( le Milan AC). Ce qui explique les incessantes venues et démissions des gouvernements en Italie est ce système de proportionnelles où les petits partis finissent par faire la loi.

La France, logiquement, ne sera pas épargnée par le phénomène commencé non sous Coluche mais sous Pierre Dac, lequel par déférence envers le Général De Gaulle- il était compagnon de la Libération- finira par se retirer.

Marcel Barbu que le général surnommait  » Brave couillon » selon un propos rapporté de Peyreffitte.

Avec Coluche la clownerie prit une autre dimension. Si au départ sa candidature faisait bien rire quelques mois plus tard certains commençaient à s’en inquiéter, notamment Mitterrand qui perdait potentiellement des voies. Coluche et son entourage se retrouvèrent fichés par les Renseignements Généraux et firent l’objet de menaces de mort par un mystérieux groupe nommé Honneur de la Police ( qui revendiquait l’assassinat de Pierre Goldmann) dont on ne sait toujours pas grand chose au jour d’aujourd’hui.

« J’appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s’inscrire dans leurs mairies et à colporter la nouvelle. Tous ensemble pour leur foutre au cul avec Coluche. Le seul candidat qui n’a aucune raison de vous mentir !« Avec le recul, aujourd’hui, quelle est l’une de ces catégories citées par Coluche qui n’est pas draguée/convoitée par des élus politiques?

Nous rions certes des clowns, mais comme le constate Mme Krupa certaines de leurs revendications sont reprises par des politiques quelques années plus tard. Nous trouvâmes rigolo la candidature de Marlène Mourreau, on se moque volontiers de Cindy Lee par rapport à son parti ( du Plaisir). Mais combien de fois la thématique de la gratuité des préservatifs n’est-elle pas revenue dans les débats politiques?

Macron a lui-même été un faux clown en 2017. J’ai un petit point de désaccord avec l’auteure du livre. Cette vague d’hystérie, et on peut dire là aussi cette stratégie médiatique de « Terre brûlée » si la complicité CNEWS/Élysée est avérée, trouverait plutôt ses racines lors de ladite affaire Benalla. Car de 2017 à 2018, où les Bleus remportèrent la Coupe du Monde avec en toile de fond quelques débats nauséeux sur l’identité des joueurs , Macron n’avait guère eu de problèmes médiatiquement parlant. Seule son attitude lors de la démission du général De Villiers avaient fin grincer des dents. Mais L’Élysée maitrisait sa communication, le nerf de la guerre du pouvoir macronien. Comprenons que depuis un certain Nicolas Sarkozy la fonction de chef de l’état a muée vers une hyperprésidence [médiatique] qui veut qu’une armada de conseillers aient plus d’influence qu’un Premier Ministre nommé à Matignon. Après les révélations faites par le controversé Taha Bouhafs et Médiapart concernant les agissements d’un proche de Macron, révélations qui trouvent peut-être leur origine dans l’agacement de certains hauts-fonctionnaires vis-à-vis du premier cercle autour du PR, la glace a fondu. Ceux qui avaient vôté en voyant une possibilité de renouveau, qui trouvaient impeccable l’incarnation de la fonction présidentielle par Macron, ont été déçus.

Et surtout, Macron et ses troupes ne purent plus rien maîtriser niveau com’. Les Gilets Jaunes, puis la gestion de la pandémie de Covid-19 où se sont invités les débats les plus rances à propos de l’Identité, auront montré que le chef de l’État est entouré d’une bande d’incompétents qui servent de fusibles.

Justement, ainsi que le souligne Mme Krupa, les clowns sont nombreux sur la ligne de départ. Le factieux Éric Drouet, le très niais Francis Lalanne, Jacqueline Mouraud, la tête à claques Éric Zemmour, l’imbu de lui-même Michel Onfray, Robert Ménard, Didier Raoult, l’ex CEMA Pierre de Villiers, François Ruffin, Marion Maréchal, Philippe de Villiers, Jean Lassalle, ou bien Jean-Marie Bigard qui se théâtralise avec des discours de vulgarité inouïe. Toutefois, ces individus n’existent qu’en venant déllivrer des dicours et des postures qui tiennent plus de la post-réalité à vocation populiste, teintés fortement de narratifs conspirationnistes, que de contre-discours argumentés qui saurait renvoyer Macron et sa clique dans les cordes. Lorsqu’elle intervient sur les débats à propos de telle ou telle polémique, la porte-parole de LREM Maud Bregeon n’a jamais trop de mal à fermer les clapets de ses contradicteurs.

C’est simple: il n’y a aucune opposition de vraiment crédible à En Marche et à celui qui s’est fait élire parce qu’il correspondait au profil du premier de la classe. Macron miserait sur la candidature d’un clown qui siphonnerait les voix de Marine Le Pen lors des futures élections présidentielles de 2022.

Nous sommes nombreux à constater que les formats qui produisent le plus de clowns sont la chaîne CNEWS calqué sur le modèle de la chaîne conservatrice américaine Fox News et Touche Pas à Mon Poste sur C8. Toutes deux propriété du groupe Bolloré, dont le propriétaire éponyme a réalisé le grand écart en promouvant sur ses médias du réac’ moisi tout en ayant des affaires en Afrique. Naturellement, personne n’y trouve rien à redire. Ni une certaine Rokhaya Diallo qui s’érige en Reine de la cause noire et décoloniale, ni même Éric Zemmour, Guillaume Bigôt, ou la Charlotte D’Ornellas, pourtant si prompts à dénoncer l’immigration illégale voire même la présence de gens en France qui ont des couleurs de peau un peu trop colorés à leurs goûts. CNEWS est une chaine d’opinon qui cartonne et qui vend des narratifs qu’une partie des français veulent entendre. Par exemple, bien des historiens sérieux se sont mis en porte-à-faux face aux récits biaisés de Franck Ferrand qui font toujours l’apologie d’une France qui était belle parce que Royale et Catholique, et au travers desquels on apprend que les pires envahisseurs sont évidemment les Arabes que Charles Martel boutât. Notez aussi que l’emploi du mot  » invasions » comporte un sous-entendu. CNEWS a saisi tout l’intérêt de promouvoir des formats  » d’émission-débat » qu’on tiendrait pour inspirer des engueulades entre poivrots dans les bistrots PMU, et malheur à celui/celle qui est le ou la plus à gauche de tous les intervenants car c’est le moyen d’être la tête de turc, notamment dans L’Heure des pros animé par l’insupportable Pascal Praud ou bien si on se trouve face à un Éric Zemmour toujours persuadé de détenir la Vérité.

Hanouna Cyril GIF - Hanouna Cyril Fish GIFs

Sur C8, la star c’est Hanouna. Celui qui mettait un bol de nouilles dans le slip d’un collaborateur, ou qui se frappait le visage avec un poisson, est devenu l’animateur-référence pour une grande partie des Français abrutis devant leurs postes de télévision. Depuis la crise des Gilets Jaunes, qui ont porté leur dévolu sur lui, il sert à l’harassante Marlène Schiappa d’intermédiaire pour venir défendre les actions du gouvernement. Maud Bregeon s’y rend également. On a aussi droit à des clashs qui font rouler des yeux, notamment celui d’une activiste vegan hystérique nommée Solveig Halloin face à un viriliste très à droite qu’elle fait passer là pour stable ( n’oublions pas que nous sommes chez l’odieux Bolloré et que rien n’est innocent), ou bien un face-à-face débile entre le rappeur Booba icône des wesh-wesh à deux mots de vocabulaires et le gremlins harnaché d’implants capillaires Ex-RN Jean Messiha.

Tant qu’à faire autant avoir l’adaptation française du Jerry Springer Show où les invités se tapent dessus.

Le contre-coup de l’émergence de ces clowns est qu’elle amoindrit le pouvoir des professionnels de la politique, qui ont, quant à eux, pas la moindre idée du niveau de défiance à leurs égards qui s’est répandu dans toutes les couches de la société.

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