« Oui, j’ai entendu les bombes péter dans les ambassades, des foules réclamer du sang, des mollahs prononcer des condamnations à mort, de soi-disant leaders appeler au djihad. Ils ont brûlé des livres, Dave. Dans une bonne partie du monde islamique, la température de la haine atteint des sommets, et je les ai écoutés » Pilgrim ( p.418, Je suis Pilgrim).
Des fois, en librairie, nos yeux sont si hypnotisés par des quantités de couvertures de livres que nous avons la flemme de lire leurs quatrièmes de couverture. Sans un article récent annonçant les dernières actualités autour de son adaptation cinématographique, il y aurait de grandes chances que ce présent article n’eusse vu le jour.
D’origine britannique, Terry Hayes est un scénariste ayant cheminé dans quelques productions hollywoodiennes qui ne tiennent pas vraiment de l’inoubliable et du subtil ( Cliffhanger avec Stallone, Vertical Limit, Le Règne du Feu) à l’exception peut-être de la co-écriture de Payback qui illustrait Mel Gibson dans un remake inégal du Point de non-retour.
Le Pélerin contre le Sarasin
Le personnage principal endosse de multiples identités. Adopté dès son enfance par un couple qu’il voudra toujours tenir à distance, il finira recruté vers la fin de ses études par un service si secrêt que peu de hauts fonctionnaires américains- faut-il préciser- ont eu vent de son existence. Il se destinait à devenir médecin et ça fait légèrement penser au parcours d’un certain Marc Sageman connu pour être l’un des plus grands spécialistes du jihadisme: travaillant à la CIA lors de la guerre d’Afghanistan qui opposait soldats soviétiques et Moudjahidines, Sageman- issu d’une famille juive polonaise rescapée des camps nazis- a été officier traitant chargé de fourger des Stinger auprès de certains qui voudront plus tard voir l’Occident brûler dans les flammes, puis participera à ce qui est ridiculement surnommée Guerre contre le Terrorisme avant d’en démissionner de façon fracassante ( il n’aurait pas vraiment apprécié la pratique systématique du Waterboarding); Sageman est aussi un psychiatre qui a derrière lui des tonnes d’heures d’entretiens avec des jihadistes et la polémique Roy-Kepel a pour lui une sonorité de masturbation intellectuelle ( point de vue partagé!).
Mais le personnage de Pilgrim, alias Jude Garrett, Scott Murdoch, Peter Campbell, ou le Cavalier de la Bleue, ne semble pas s’y être rendu et en a beaucoup sur la conscience par rapport à un univers qu’il était résolu de quitter à tout jamais. Car notre homme a sur la conscience des meurtres, a été témoin et participant de saloperies sous couvert de raisons d’état, et comprend que sur un rien la machine peut vous broyer aussi bien mentalement que physiquement. Au sortir d’une mission éprouvante, l’homme va se mettre en tête de trouver une couverture pour préserver son anonymat. Il a alors l’idée d’écrire un livre basé sur ses connaissances en criminologie, ou plutôt sur comment faire le crime parfait. Par sécurité, il utilisera un pseudonyme. Hélas pour lui, le hasard voudra qu’un inspecteur afro-américain- fasciné par son livre- finisse par retrouve sa trace et le débauche non sans difficultés pour en faire une sorte de consultant. Il jouera de malchance en constatant, sur une scène de crime à N.Y, que son livre a aussi inspiré un meutre qu’un indice trouvé- no spoiler- l’envoie droit sur la ville de Bodrum ( Turquie).
Pour son plus grand malheur c’est aussi à Bodrum qu’Echelon a identifié un appel téléphonique lié à une affaire top-secrète, où il en va du sort de l’humanité.
Car celui qui a été en Afghanistan c’est l’antagoniste principal, Le Sarrasin. Un homme originaire d’Arabie Saoudite qui a la haine depuis qu’il a assisté à la décapitation de son père sur place publique pour motif de » Semer la corruption sur Terre », inspiré du Verset 56 de la Sourate Al-A’raf » Et ne semez pas la corruption sur la terre après qu’elle ait été réformée. Et invoquez-Le avec crainte et espoir, car la miséricorde d’Allah est proche des bienfaisants.« , et qui là conduit toute personne osant critiquer la famille royale saoudienne à la peine capitale. La narration de Pigrim n’hésite pas à rappeler que ce pays a fabriqué des terroristes notoires tels qu’Oussama Ben Laden, le commando à l’origine des attentats du 11 Septembre, et fait ressortir la bêtise crasse qui transparaît au travers des attitudes fières des membres de la Mabahith– ou celle du bourreau qui a procédé à l’exécution du père du Sarasin. Et encore ça parait gentillet comparé à toutes les horreurs imputées à cette famille décadente: exportation du Salafisme aux quatre coins du globe qui a appauvri culturellement et intellectuellement des milliers de gens en plus d’être un des éléments favorisant le jihadisme ( non, ce n’est pas le seul); répression contre toute sorte d’opposants, modérés comme conservateurs, hommes et femmes compris; accusations de financement d’organisations terroristes; populace sous un joug religieux strict tandis que les membres de l’élite s’organisent des soirées olé-olé dans des propriétés luxueuses ( ou bien ailleurs, en Côte d’Azur par exemple); le carnage au Yémen; exécutions dans les rues; sa minorité chiite, les immigrés musulmans ( même sunnites), et les chrétiens originaire de pays pauvres sont quasiment définis comme des Üntermenschen; esclavage; l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi et la tentative d’opération homo concernant le lanceur d’alerte Ilyad el-Baghdadi; ou encore son indifférence au sort des Ouïghours parqués au sein de camps de concentration chinois.
Pilgrim, sous I.F, va devoir non seulement se mettre à chasser le moujahid et résoudre l’homicide inspiré par son propre livre.
From Smallpox the biohazard
Le Sarrasin, soyons pessimistes, ne correspond en rien à la brute de barbu qui se repaît du sang coulant d’une tête décapitée au couteau de chasse. Il n’a rien à voir non plus avec le stéréotype d’un petit délinquant français qui embrasse la cause jihadiste en séjour carcéral. Au contraire, l’entreprise du Sarasin s’inscrit dans une série de raisonnements rationnels, scientifiques même. Pour punir les USA il décide de créer et de mettre en circulation un variant de la Variole, éradiquée depuis 1980, qui serait insensible au vaccin.
L’élaboration de son plan suivra plusieurs étapes: retour en Afghanistan, intrusion dans un laboratoire syrien après énucléation du fonctionnaire responsable ( car système de reconnaissance à la rétine), et infiltration dans le site d’une usine de médicaments qui appartient à un groupe pharmaceutique américain. Le récit alterne ces étapes avec les mouvements de Pilgrim suivis d’états d’âme liés à sa carrière et de traits d’humour noir. On est effectivement à mi-chemin entre du John Le Carré ( une touche plus sombre) et du Robert Ludlum le créateur de Jason Bourne ( en une nuance moins sombre). Pilgrim finira par trouver l’identité du Sarrasin. Toutefois, hormis quelques coïncidences troublantes et de véritables invraissemblances, on peut déplorer que le livre souffre d’une fin tirée par les cheveux.
La menace biochimique n’est hélas pas qu’une trouvaille de scénaristes et d’écrivains. De nombreux rapports d’analystes oéprant dans des services de renseignements ou dans des instituts tirent la sonnette d’alarme à ce sujet- et dernièrement il a été établi que des groupes jihadistes et néonazis cherchent à utiliser des souches du Covid-19 pour mener des attaques. Dernièrement, c’est Bill Gates en personne qui joue les Cassandre.
Nazisme, Jihadisme: idéologies du mal?
Durant le récit Pilgrim revient souvent sur le sort des Juifs européens pendant la Seconde Guerre Mondiale, en témoigne une visite traumatisante dans le camp de concentration de Natzweiler-Struthof– aux Vosges- conceptualisé par Albert Speer. Il est fascinant d’observer la quasi-sacralité qui s’est développée aux États-Unis autour de la Shoah depuis la découverte des fosses communes remplies de cadavres et des fours crématoires. Le nazisme est pas mal évoqué dans le livre. Néanmoins, pour autant que soit sincère la démarche de Pilgrim et de ses millions de concitoyens et que soit glaçant ce projet d’extermination nazi ( qui concernait aussi les Tziganes, les Slaves, les Mûlatres, les homosexuels, ou les asociaux), il serait bien de rappeler que les actuels États-Unis d’Amérique se sont constitués sur le génocide des tribus amérindiennes et de la spoliation de leurs terres assorties de mises en réserves pour les survivants. Qu’aux lendemains de la découverte de l’horreur nazie les USA ont continué leur politique de Ségrégation Raciale vis-à-vis de sa minorité noire. Et que le 3ème Reich fut tout de même un bon client. En n’oubliant pas non plus les victimes collatérales des juntes militaires soutenues au nom de la lutte contre le communisme…
Et là, ici, les victimes des régimes du monde arabo-musulman appuyés au nom de la lutte contre le terrorisme. Ce qu’Israël fait aussi en s’alliant avec le KSA afin de contrer l’Iran, autre pays qui applique la peine capitale pour « Corruption sur terre« . Ce que la France fait également en se vautrant devant certaines pétromonarchies. Et ce que font aussi les partisans de l’impérialisme Iranien qui ferment les yeux sur les crimes d’Assad et les activités terroristes du Hezbollah proxy des IRGC. Pendant ce temps, celles qui répondent aux appels des populations manquant d’infrastructures sont la plupart du temps des ONG fondamentalistes.
Les Nazis étaient-ils fous? Les Fascistes et les Soviétiques étaient-ils tarés eux-aussi? On oublie souvent que ces idéologies ont au contraire reçues les approbations d’une partie des élites intellectuelles de leurs temps. Quand de simples gens y adhéraient pour des raisons idéologiques ou pragmatiques…
Pour revenir au Sarrasin, son portait est celui d’une de ces âmes enragées qui s’estimant humilié cherche vengeance. Il est au contraire très éduqué et parvient à réussir de brillantes études de médecine. Un autre drame le convaincra du bien fondé de son projet. Oui, il s’en remet à Allah. Est-il fou? Et là, patatra, ben non justement. Qualifier de fous des individus qui » œuvrent » pour la mise en place d’un projet politique effroyable- si tant est que certains d’entre eux n’aient pas la lumière à tous les étages- c’est aller un peu vite et surtout ça n’aide pas à résoudre cette question essentielle résumable en un mot: pourquoi?
Et puis si le Sarrasin est fou…Comment expliquer qu’il a su déterminer la faille de sécurité du groupe pharmaceutique: le manque de contrôle!
» Le type de l’Hindu Kush était certainement le premier d’une nouvelle race de fanatiques islamistes- intelligent, instruit, famillier des technologies modernes-, le genre d’homme en comparaison duquel les pirates du 11 Septembre faisaient figure de brutes arriérées- qu’ils étaient d’ailleurs. L’Occident avait enfin un ennemi à la mesure de nos peurs, et j’étais personnellement convaincu qu’il incarnait l’avenir. Nous allions très bientôt regrêtter le bon vieux temps des attentats-suicides et des pirates de l’air. Mais, aussi sophistiqué qu’il fût, il n’en était pas moins ardent disciple de l’islam, alors que la seule collaboratrice qu’on lui connaissait semblait tout sauf intégriste.Mais elle n’avait rien à avoir avec la femme d’al-Zawahiri, même avec un gros effort d’imagination.«
Seems legit.
Une réflexion sur “JE SUIS PILGRIM”