« Son père disait que le roman historique de Flaubert était le meilleur travail historique jamais réalisé sur la guerre des mercenaires. Et qu’Hamilcar était l’un des plus grands chefs militaires de l’histoire. Supérieur à son fils, Hannibal. Le père avait sauvé Carthage, le fils en avait causé la chute par son hubris. « ( p,195).
Voilà bien un roman singulier, pour ne pas dire « assez spécial ». Le style minimaliste déplaira sans doute aux amateurs de phrases kilométriques et de descriptions à tire-larigot. Concis à faire penser à un rapport écrit à destination du Ministre de la Défense, l’auteur mélange savamment techno-thriller, le Road-Movie, le roman noir social, le roman d’espionnage, la Tragédie Grecque, et une érudition mi-feinte.
On y verrait bien aussi un petit clin d’oeil à La Route de Cormac McCarthy.
L’histoire ne tient qu’à un fil de ceinture explosive. Tout commence à Paris où deux aspirants jihadistes décident de faire un gros coup : attenter à la vie d’un homme et de sa femme, ainsi que de leur enfant ; l’homme s’avère être le patron de la DGSE. L’attentat est un demi-échec car le patron de la DGSE s’en sort et l’un des jihadistes est abattu. C’est l’identification de l’autre qui va provoquer la panique générale, car ce « Faransi » a un profil assez atypique. C’est aussi le cas de son obscur universitaire de géniteur qui traîne un passé « compliqué », et qui s’est fâché avec son rejeton depuis que ce dernier s’est découvert une fibre révolutionnaire.
Du Trappistan- ville en France qui a connu le plus de départs pour la Syrie- à Raqqa en plein contexte d’Opération Chammal pendant l’épisode de l’apport des forces françaises à la Libération de Raqqa ; en passant par les anciens locaux du 36, par ceux de Levallois-Péret ; par l’aéroport de Francfort ; ou par la Turquie en allant droit vers la ville frontalière d’Akçakale– passage obligatoire pour gagner Tell Abyad alors tombée aux mains de l’OEI, à condition bien sûr de savoir négocier avec des passeurs peu scrupuleux ; c’est un aller droit vers l’enfer qui nous est garanti.
Course-poursuites, scènes de fusillades réalistes, contre quelques réminiscences d’instant torrides suggérés. La très bonne connaissance des services de renseignement par l’auteur peut être prise pour une raison suffisante d’écrire sous pseudonyme, eu égard à certains couacs.
Si le récit entremêlant réalité&fictions comprend une commissaire ancienne bacqueuse, nous y trouvons aussi des personnes ayant réellement existé dont certaines aux kunyas assez évocatrices- Omar Le Tchétchène notamment- pour figurer dans le cercle très fermé des HVT*. À contrario des récits complotistes dont nous abreuvent certains, ça, là, ou ça-et-là, ou de ce genre de généralité foireuses selon lesquelles on aurait à faire à des gens sans convictions qui ne connaissent rien de l’Islam, Phénix fait une description des jihadistes- français- qui correspond assez bien à celle que fît Matthieu Suc dans son livre sur l’Amniyat : paranos, violents, retors, pointilleux, hiérarchisés, sensibilisés à la techno-guérilla et au contre-espionnage.
L’importance même de ce « service » qui se subdivisait en plusieurs branches, est mise en avant, là où d’autres écrivains et réalisateurs de films se contenteraient de scénarios plus simplistes. Rappeler que des volontaires français- redoutés pour leurs cruautés- aient pu accéder à une reconnaissance au sein de l’OEI à force d’exactions, alors qu’ils suscitaient méfiance et mépris en 2013, et donc à des responsabilités assez importantes au sein de l’Amniyat, signifie que l’auteur a bossé son sujet inversement à des passionarias racontant n’importe quoi. Y compris lorsque à contrario les personnages de djihadistes français sont en proie à des attitudes de gamins arrogants et immatures.
L’écriture fluide balaie toutes les thématiques et problématiques : la géopolitique à la française et son volet renseignement qui est un mélange subtil de force et de précision ; la crise spirituelle traversé par le monde Arabo-Musulman ; la relation Père-Fils ; les portraits assez réalistes des flics français opérant sur la couronne parisienne, dont la place des femmes qui accèdent à un certain rang ; les mécanismes complexes de radicalisation ; le « terrain préparé » par les politiques locales clientélistes en banlieue combinés à l’importation du salafisme made in KSA et de l’importation du conflit du Proche-Orient ; les femmes Yézidies réduites à l’état d’esclaves sexuelles; les armements des parties belligérantes en Syrie ( territoire de Raqqa).
« En 2017, un tireur d’élite canadien de la deuxième force opérationnelle interarmées a réussi un tir latéral de 3 540 mètres avec un TAC-50 du haut d’un immeuble en Irak. Le nom du soldat et la localisation sont classés « Secret Défense » par le ministère de la défense canadien ». ( p.176). Cette histoire avait généré son lot de polémiques car certains restaient sceptiques qu’on puisse atteindre une cible à telle distance avec un McMillan ou tout autre fusil de précision. Car le bouquin est un précis très factuel sur les événements ayant précédé la chute du califat autoproclamé. Néanmoins, on pourrait soupçonner un petit biais pro-Kurde à Phénix. D’abord avec el famoso « les jihadistes étaient terrifiés par les snipeuses des YPJ : s’ils étaient abattus par une femme, ils n’iraient pas au paradis »(p.215).
L’apparition de la commandante militaire Rojda Felat, connue pour avoir brandi le drapeau Kurde à Raqqa, donne une sensation de malaise. Certes, le PKK et ses branches ramifiées sont très loin d’être des anges contrairement à ce que nous racontent des âmes en mal de romantisme et d’idéal féminisant égalitaire : trafic de drogue, attentats sur sol Turc, crimes de guerre avec des enrôlements d’enfants et des accusations de nettoyages ethniques dans des localités reprises à Daech, et crimes contre l’humanité ; les extrémistes de gauche bien de chez-nous qui se sont formés au Rojava, les liens avec des indépendantistes régionaux, ou voire même avec des rouges-bruns, font pencher la balance du mauvais côté. Le PKK qui a quasiment la même idéologie que le très sanguinaire Sentier Lumineux et les explosifs Tigres Tamouls, à savoir l’ethno-maöisme qui est un nationalisme-révolutionnaire non assumé.
Néanmoins, la France qui avait un coup à jouer s’est une fois de plus livrée à sa fichue tradition d’abandonner ses alliés : ici avec les forces kurdes, ou en Afghanistan avec les interprètes ayant travaillé avec l’armée française et qui ont pour Épée de Damoclès les Talibans revenus en toute puissance.
Pour peu que soit réaliste le projet du Grand Kurdistan, car il empiéterait quand même sur quatre états, à savoir l’Irak, l’Iran, la Turquie, et la Syrie, si on se remet dans le contexte les forces Kurdes sont apparues comme l’allié le plus présentable en comparaison du Boucher de Damas, de son allié russe bourrin, ainsi que des milices Chiites pro-Iraniennes pointées elles aussi du doigt pour leurs exactions. Mais certaines vidéos d’exactions côté rebelles ont contribué à la com’ d’Assad soupçonné d’avoir saboté le camp de la contestation en libérant des jihadistes. Le même Assad qui appuiera sa propagande grâce à des relais allant du Parti Social-Nationaliste Syrien ( tendance Fasciste) jusqu’aux colonnes d’un magazine pour salon de coiffure où Bachar y est présenté comme le membre d’une vieille dynastie évoluée faisant face à la barbarie, en passant par toute la myriade de néonazis, de nationalistes-révolutionnaires, de militants d’extrême-gauche en lien avec les précédents, et de droitards chrétiens qui mangeraient bien de l’Arabe au petit-déjeuner.
En comparaison aussi avec toutes les autres formations de « rebelles modérés » ayant supplanté l’ASL et son objectif initial de détrôner Assad, ces « charmants » apôtres d’un Sunnistan sous Charia qui inférioriserait les minorités ( Alaouites/Chiites ou Rafawidh, Chrétiens, autres), les Ahrar al-Cham, Jaysh al-Islam, les Liwa al-Tawhid, Hayat Tahrir al-Sham combinant des effectifs d’Al-Nosra, de Nur al-Din Zinki, ou du Front Ansar-al-Dine; les Ouïghours du Parti Islamique du Turkestan; ou bien les frappadingues de l’ancienne Jund Al-Aqsa un poil plus à gauche que les combattants de chez Dawla, le PKK pouvait aisément se refaire une virginité. D’autant que la Turquie du petit Führer Erdogan qui nous fait des procès pour Islamophobie, qui embastille ses opposants, qui pratique même des formes d’ingérence houleuses via ses diasporas turcophones, y a trouvé un prétexte pour mettre en pratique ses ambitions néo-ottomanes ( dernièrement avec Ahrar al-Sharquiya). Là où le KSA et le Qatar se sont arrêtés. Le sale jeu de la Turquie vis-à-vis de L’État islamique est précisément décrit dans le livre.
Car la France- premier producteur occidental de Jihadistes en partance pour le Shâm– eut été plus crédible en appelant chacun à prendre ses responsabilités. En effet, dans des régions où règnent des dictatures pourries, où les taux de précarité sont forts, et où des populations réparties en tribus finissent par se retrouver livrées à elles-mêmes en plus de devoir faire alliance avec A ou B pour guerroyer contre C qui va chercher protection auprès de D ayant réprimé E et F, le tout sur fond de ressenti par rapport à des accords antérieurs ( Sykes-Picot) et de nostalgie à propos d’un âge d’or, comment s’étonner qu’ensuite- ainsi que le disait Bernanos- un monstre ne sorte pas des entrailles du peuple ?!
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Une réflexion sur “Code Némésis”