En 2008, Marvel sortira un crossover intitué Secret Invasion qui réunira toutes ses équipes de super-héros pour le moins assez marquant. Car l’on sait que les Comics se référent aussi bien au panthéon de dieux mythologiques et aux créatures symboliques qu’ils puisent dans le réel : société, histoire, anthropologie, réalités économiques.
Secret Invasion nous raconte comment les Skrulls, race maléfique d’extraterrestre, entendent conquérir notre planète. Les Skrulls sont en guerre permanente avec les Krees, autre espèce d’extraterrestre aux vertus militaires prononcées. Pour les non-initiés, la guerre Kree-Skrull fait suite à un différent techno-colonial, les seconds, envahissant la planète des premiers, avaient jeté leur dévolu sur une autre race qu’elle jugeait plus digne de bénéficier des technologies.
Depuis ça a prit la forme d’une rivalité interstellaire qui fait passer le contentieux entre l’Inde et le Pakistan pour une querelle de bac-à-sable.
Les Skrulls projettent donc de conquérir notre monde. Pour cela rien de plus simple, ils pratiquent des séries d’enlèvements, étudient les sujets enlevés, et, parce qu’ils sont métamorphes, finissent par prendre leurs places ainsi que leurs pouvoirs ( si il est question d’un super-héro, d’un anti-héro, ou d’un vilain). Ceci afin d’infiltrer toutes les sociétés. Mais voilà que tôt ou tard l’existence de leur conspiration est révélée en plein épisode de la Civil War. Dissimulé sous les traits d’Elektra, un skrull trouvera la mort alors que lui et son commando de ninja affrontaient les New Avengers.
Et naturellement ça va finir par semer la paranoïa au sein de chaque groupe, super-héros, neutres, ou même vilains.
Pas vraiment bien reçu par la critique américaine, l’invasion Skrull rappelle que les USA- pays qu’on nous définit comme la démocratie exemplaire- a connu justement des passages de paranoïa aiguë dans son histoire.
La première qui vient à l’esprit est celle du Maccarthysme, point d’orgue de l’anticommunisme viscéral régnant, où les délires d’un sénateur alcoolique pas certain d’être réélu- sympathisant nazi au demeurant- auront été si amplifiés par les médias de l’époque qu’une chasse aux sorcières eut lieu des administrations américaines jusqu’aux milieux hollywoodiens.
Le but : démasquer d’éventuels agents communistes infiltrés…à partir de dénonciations.
Entre 1950 et 1954, des gens finiront inscrits sur des listes noires après avoir été victimes d’esprits zélés convaincus de la menace agitée par McCarthy. Il est de notoriété publique que le Maccarthysme a pesé dans la sentence rendue concernant les époux Rosenberg accusés de haute-trahison. L’URSS reconnaîtra bien ensuite leurs activités d’espionnage. C’était des salauds de communistes, dira-t-on. Il est estimé que les documents fournis par les Rosenberg aux soviétiques n’avaient guère d’intérêt. Seulement, le rôle de Roy Cohn– bras droit de McCarthy et plus tard mentor de Donald Trump- a été mis en évidence : non seulement, David Greenglass- beau-frère de Rosenberg- a accusé Cohn d’avoir tronqué ses propos, mais il s’avère par la suite que ce triste sire a joué de son influence auprès du juge chargé du verdict.
Tout salaud de communiste a le droit à un procès équitable, c’est en cela que la Démocratie se différencie d’autres régimes controversés.
Moins connue, encore moins glorieuse, est la période d’internements des Nippo-Américains. Elle trouvât son origine dans le sentiment anti-japonais qui fît suite à l’attaque de Pearl Harbor et à l’incident de Ni’ihau- du nom d’une île hawaïenne sur laquelle s’était crashé un avion militaire japonais ayant participé à l’attaque de Pearl Harbor et où le pilote, rescapé, avait pu trouver de l’aide parmi la population locale avant de se faire tuer par un couple d’autochtone.
On commençât à douter de la loyauté de l’ensemble des « Japonais » présents sur le territoire US, puisque vus comme une Cinquième Colonne, considérant que l’incident de Niihau démontrait que même des gens sans qu’ils soient hostiles aux intérêts américains pouvaient aider le japon dans ses visées : espionnage sur le sol américain, ingérence, ou, soyons-fous, l’invasion du territoire !
L’administration Roosevelt choisit donc de déporter l’ensemble des citoyens d’origine japonais, ainsi que tous les japonais présents sur son territoire, vers des camps d’internements. Issei ( japonais de première génération émigrés) et Niseï ( japonais de deuxième génération émigrés) seront raflés sous les ordres d’un général zélé qui ordonnât des rafles massives dans tout le territoire. Ce sont en tout 110 000 personnes- hommes, femmes, et enfants- qui se retrouveront parqués derrières des barbelés, sans contact aucun avec le reste de la population américaine, et où des gens mourront cause aux conditions rudes.
À leurs sorties, les survivants se verront donné 25$ !
Aux lendemains du 11 Septembre on se mit à douter, au travers d’une partie du globe, à douter de la loyauté des Musulmans. Chez nous, notamment.
Éric Zemmour, lors de la Convention des Droites, n’a pas visé pas les activistes douteux tenants de l’islamophobie d’état- imaginaire- qu’il ne faudrait surtout pas exonérer de leurs responsabilités. Ceux-là qui pour un rien répandent également la psychose en mélangeant le vrai avec le faux, agressifs, antipathiques, et sans surprise, souvent incapables de la moindre empathie à l’égard d’autres causes sauf dans certains cas celles des « allié.e.s » qui viennent manger dans leurs mains. Par leurs frasques, par leurs propos hallucinés destructeurs de la belle langue et du savoir-être, ceux-là ont fait plus pour la théorie du Grand Remplacement que l’autre écrivain ennuyeux post-proustien et ses supporters adeptes de carmagnoles identitaires.
Zemmour n’a non pas stigmatisé le salafisme ou une de ses variantes ( Quietistes tendance madkhali ou la forme révolutionnaire dite jihadiste), ni parlé du Tabligh, ni des Frères Musulmans, ni simplement posé la question de la compatibilité de tel Fiqh avec la Laïcité ou les Droits-de-L-Homme ( qu’il conchie autant qu’Assad). Ni de quartiers précarisés où sévissent des prédicateurs. Ni les conséquences que ça entraîne entre gens d’un quartier transfiguré. Inutile de nier le problème. Tout ça c’est trop modéré aux yeux d’Éric Z. Il faut qu’il marque le coup. Il faut qu’il montre qu’il l’a plus longue et plus grosse. La polémique, voilà son but. Il a simplement désigné L’Islam dans sa globalité, parlant aussi de « population » et de « grand remplacement », donnant disons-le un discours aux échos de pré-guerre civile. Le tout médiatisé par des chaînes de télévision à fort audimat.
C’est comme si, inversement, on avait diffusé la prêche d’un prédicateur dans laquelle celui-ci inviterait son auditoire à se dissocier des Kuffars.
Cette normalisation de propos, jusque-là confinés dans des sphères radicales, marque le niveau de barbarie résultant d’un nivellement par le bas sidérant.
C’est d’ailleurs ainsi que fonctionne une certaine association promotrice des apéros-saucissons-pinards : accusation systématique de dhimmitude ou de conversion, même à l’égard de laicards taxés d’islamophobe à tort et à raison.
Donc inutile d’expliquer que depuis la première Fitna l’Islam tel que Mohammed l’avait enseigné n’existe plus et qu’il regroupe de nos jours plusieurs courants basés sur différentes interprétations qui comprennent eux-mêmes des écoles n’ayant pas la même jurisprudence ( Fiqh). Zemmmour qui nous assène avec le coup « on le voit comme une religion d’un point de vue chrétien, mais c’est plus qu’une religion ! C’est un système ! ». Cela en clin d’oeil à la phrase de l’islamiste pakistanais Mawdudi : « Islam is not merely a religious creed or compound…but a comprehensive system which envisages to annihilate all tyrannical and evil systems in the world, ». Pour la petite histoire, Mawdudi a influencé l’Iranien Khomeiny ainsi que les égyptiens Hassan al-Banna et Sayyid Qutb, théoricien de la révolution islamique pour le premier, fondateur des Frères Musulmans pour le second, et le troisième ayant été la référence intellectuelle radicale des Frères Musulmans devenue ensuite celle des fondateurs d’Al-Qaida.
Zemmour voit l’Islam comme le verrait a minima l’archétype d’un fondamentaliste sunnite
Quid des Soufis montrés du doigt pour leurs cultes des Saints ? Quid des Chiites qui se font traiter d’égarés sur des sites communautaires pro-Sunnites ? Quid des chiites ( bis) proches d’Assad, de l’Iran, ou du Hezbollah, que certains très à droite continuent de considérer comme des alliés ? Quid des Ahmadis ? Quid de ces femmes qui sont déjà obligés de faire des prêches dans des endroits désignés au dernier moment afin de ne pas avoir de mauvaises surprises ? Quid de cet imam militant ouvertement pour la cause homosexuelle ? Quid des néo-mutazilites qui reconnaissent le Libre-Arbitre ?
Quid de l’enfant qui va au collège sur un vélo ? Quid de l’enfant qui naît dans un couple mixte ?
Quid des petits groupes de gens buvant des bières sur des terrasses de café ?
Car il fallait voir les réactions du public lors de l’intervention de Raphaël Enthoven, qu’on est en droit de trouver agaçant. Les « retournez en Algérie » et autres insultes soulignent très bien la nature du régime auquel on aurait droit si ces idiots étaient au pouvoir. Même si Zemmour prétend se garder de ne viser aucunement les musulmans, ce discours les cible en tant que individus qui seraient tous supposés liés à une seule et même entité ( L’Islam) et à un objectif précis ( celui de Grand Remplacer les populations enracinées). Et lorsqu’on sonde le public qui écoute ce genre de conférence, la définition de musulman est floue et aurait quelque peu tendance à désigner facilement ce qui n’est pas blanc de peau. Ainsi même les chef d’entreprises, les demandeurs d’emplois sans histoire, ou les étudiantes fana de soirées branchées portées en horreur par les fondamentalistes, même eux ne trouvent pas grâce et sont assimilés de facto à des envahisseurs disposant d’une quantité infinie de poseurs de bombes.
Et puis il y a eu la tragédie qui s’est abattue dans les locaux de la Préfecture de Paris.
Si vous cherchiez quelconque rapport avec les Skrulls, le voici.
Nous voilà maintenant bombardés par un florilège d’assertions d’éditorialistes-éditocrates, ou de politiques qui ne savent rien de l’affaire. Nous sommes pollués par les bidonnages d’activistes d’extrême-droite et autres néolaïcs qui voient là une opportunité de se montrer en avant. Peu leur importe si les éléments de l’enquête confirment ou infirment ce qu’ils avancent.
Nos forces de l’ordre font face là à ce qui peut leur arriver de pire. L’assaillant était un informaticien agent de catégorie C qui travaillait à la Direction du Renseignement de la Préfecture de Paris. Le fait d’apprendre qu’il était converti à l’Islam a déclenché une hystérie totale telle qu’on peut retrouver dans Secret Invasion. Déjà assimilés à des néonazis par des collectifs douteux ou à cause de bulots que l’administration policière ne semble pas trop pressée de nettoyer, voici que nos services de police apparaissent fragilisés en externe comme en interne.
En interne, ça renforcera le climat de méfiance vis-à-vis des fonctionnaires ayant des origines extra-européennes. Blue on blue. Parce que déjà tel ou tel fonctionnaire peut faire les frais de suspicions du seul fait de porter une barbe de trois jours, d’avoir un goût immodéré des kebabs, et pour avoir été aperçu en train de parler avec X qui lui-même aurait été hypothétiquement aperçu en kami près d’une mosquée surveillée. Sous-entendons bien que ça peut être aussi bien avéré que calomnieux, ou bien à l’état de la rumeur classique : l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme ayant tué l’Ours.
En externe, parce que ça dégrade l’image d’une institution déjà dénigrée suite à la gestion des Gilets Jaunes, mais aussi à cause de bourdes comme celle qui a coûté la vie au Père Hamel lors de l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray ou comme celle ayant fait que Laura et Mauranne ne soient plus de ce monde. Voire même à tous les ratés autour des cas des assaillants répertoriés « Fichés S ».
On avait déjà bien du mal à comprendre le maintien de l’actuel locataire de la Place Beauvau…
Des cas d’éléments retournés ça a toujours existé. Des cas d’individus aux idées radicales dans nos institutions militaires et policières, ça fait un moment que la sonnette d’alarme est tirée. Sauf que personne ne pose la question des failles autour des recrutements, ou même des fonctionnements institutionnels…
Ni de comment sont cloisonnés les services ( puisque-là il s’agit aussi de renseignement).
Pour le moment, à l’instant où ces lignes sont écrites, on nous révèle l’existence d’un support USB inquiétant. Mais on ne sait pas encore si l’auteur de la tuerie avait fait allégeance auprès de l’Organisation État islamique, d’Al-Qaida, ou si il s’agissait d’un coup de folie dans lequel on trouverait néanmoins une dimension religieuse. Un flot d’informations contradictoire, parfois non avérés, inexactes, ou futiles, ont été déversés sur le Web au détriment de la recontextualisation des faits.
Ayant des loyers onéreux à régler, ça coûte cher de vivre à Paname eh quoi, nos Walter Winchell d’aujourd’hui en ont profité afin de promouvoir leurs trognes sous couvert de combat contre le fondamentalisme islamique…et de dire n’importe quoi sur n’importe quoi, sauf de s’exprimer sur les éléments d’une enquête en cours. Ils ne le pourraient pas de toute façon. Et puis faut bien occuper le temps d’antenne. Le souci est que nombre d’eux aient sur Internet un petit auditoire de militants et de trolls frappadingues qu’ils sont à même capables de dresser et de lancer comme des chiens. Untel ou Unetelle fait les frais d’accusation d’islamo-gauchisme, d’islamo-collaborationnisme, ou d’islamo-machinchose, ce qui fait bien partie des procédés de ceux qui accusent des pires mots toute personne n’ayant pas leurs opinions : « Sioniste ! », « Facho ! », « Assimilationniste », « , etc, etc …
Où l’on se met en tête de débusquer des « agents de l’Islamisme ».
Tout ça finit par devenir irrationnel et l’ennemi devient dès lors une entité tentaculaire surpuissante, obscure, tapie dans l’ombre et dans la nuit. L’EI, Al-Qaida, ou encore avec les suprémacistes blancs rêvant de nettoyages ethniques, enfin nos adversaires du réel acharnés à notre perte ne disposent pas de flottes interstellaires, ni de capacités à se métamorphoser. Malheureusement pour eux, heureusement pour nous. C’est là où le réel et le fictif se différencient. Heureusement pour nous, déjà qu’ils sont tous en train de se frotter les mains !