« Nous avons besoin d’un optimisme élevé, qui a une raison d’être : nous sommes ceux qui conduisent ceux qui façonnent l’avenir, nous sommes des guides, l’état major du triomphe invincible de la classe, pour cette raison nous sommes optimistes. Nous possédons l’enthousiasme, parce que nous nourrit l’idéologie de la classe : la marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong. Nous vivons la vie de la classe, nous participons de sa geste héroïque, le sang de notre peuple nous remplit d’ardeur et bout dans nos cœurs. Nous sommes ce sang puissant et palpitant, prenons ce fer et cet acier inflexible qu’est la classe et fusionnons-le avec la lumière immarcescible du marxisme-léninisme pensée Mao Zedong. » Abimaël Guzman, alias Président Gonzalo ( 1980)
Abimaël Guzmán, dans sa formation intellectuelle, eut pour mentor un intellectuel péruvien nommé José Carlos Mariátégui considéré encore comme une référence clé pour le marxisme sud-américain. Mariátégui prétendait que » le marxisme-léninisme ouvrira le sentier lumineux jusqu’à la révolution ». Dans les années 60 le parti communiste péruvien est en proie à des tensions internes en conséquence de la rupture sino-soviétique. Le Parti Communiste du Pérou pour le Sentier Lumineux est crée. Le pays est aux mains de militaires très peu démocratiques qui sont appuyés par quelques gros propriétaires terriens issus de l’immigration européenne, tandis qu’une large part de paysans amérindiens sont considérés moins que de la merde. Guzmán, maoïste ultra évoluant dans la région d’Ayacucho, fanatisera des cercles d’étudiants de sorte que son idéologie radicale va se répandre d’université en université.
Les hommes font eux-mêmes leur histoire, mais jusqu’ici pas avec une volonté générale suivant un plan d’ensemble, même lorsqu’il s’agit d’une société donnée et tout à fait isolée. Leurs efforts s’entrecroisent et, justement à cause de cela, dans toutes ces sociétés domine la nécessité dont le hasard est le complément et la manifestation. La nécessité qui se fait jour à travers tous les hasards, c’est de nouveau finalement la nécessité économique. Ici il nous faut parler des soi-disant grands hommes. Que tel grand homme et précisément celui-ci apparaît à tel moment, dans tel pays, cela n’est évidemment que pur hasard. Mais supprimons-le, il y a demande pour son remplacement et ce remplacement se fait tant bien que mal, mais il se fait à la longue. Que le Corse Napoléon ait été précisément le dictateur militaire dont la République française épuisée par ses guerres avait besoin, ce fut un hasard ; mais qu’en cas de manque d’un Napoléon un autre eût pris la place, cela est prouvé par ce fait que chaque fois l’homme s’est trouvé, dès qu’il était nécessaire: César, Auguste, Cromwell, etc. Si c’est Marx qui a découvert la conception matérialiste de l’histoire, Thierry, Mignet, Guizot, tous les historiens anglais jusqu’en 1850, prouvent qu’il y avait tendance à ce qu’elle se fasse, et la découverte de cette même conception par Morgan prouve que le temps était mûr pour elle, et qu’elle devait être découverte. Il en est de même pour tous les autres hasards ou prétendus tels de l’histoire. Plus le domaine que nous considérons s’éloigne du domaine économique et se rapproche du domaine idéologique purement abstrait, plus nous trouvons qu’il y a de hasards dans son développement, plus sa courbe présente de zigzags. Mais si vous tracez l’axe moyen de la courbe, vous trouverez que plus large est la période considérée et plus vaste le domaine étudié, d’autant plus cet axe tend à devenir presque parallèle à l’axe du développement économique. ( Guzmàn)

Les messages contestataires écrits sur les murs servent de terreau.
En 1980, insatisfait des combats universitaires, il passera au stade supérieur en créant la première école militaire du mouvement. On part de l’idée que les révolutionnaires sont en très nette infériorité numérique et qu’il leur faut renverser la tendance. Le SL sous le commandement de Guzmán aura maille avec trois gouvernements successifs et bien distincts.
Rappelons que les groupes révolutionnaires maoïstes s’appuient sur une théorie de la guerre populaire ( prolongée):
- Défensive stratégique
- Équilibre stratégique
- Offensive stratégique
1.Défensive stratégique: l’infériorité numérique avec l’ennemi est contrebalancée par la capacité d’élaborer des opérations de sabotage. Les bases d’appui servent aussi de contre-pouvoir à titre symbolique ( et on peut y voir un gouvernement parallèle).
2.Équilibre stratégique: stabilisation des bases d’appuis ( foyers d’insurrections), la cause s’enracine, et en termes de « contre-attaques » on passe à l’étape supérieure comme là avec le Sentier Lumineux qui a pu tendre une série d’embuscades à ses adversaires ou déjouer des attaques
3.Offensive stratégique: réduction des écarts entre les insurgés et les forces armées ( dites bourgeoises); aux yeux des insurgés la chose prend l’aspect d’une guerre conventionnelle, là où les forces armées voient ça comme une guérilla; et les effets d’usure cherchés chez l’adversaire via les étapes précédentes doivent mener à la victoire.
Concrètement, le mouvement de guérilla s’organisât de la façon suivante:
- un bureau de comité révolutionnaire central coordonne des comités régionaux
- le recrutement d’éléments se fait auprès des laissés pour compte majoritairement d’origine indiennes et des étudiants, mais ça ira nettement plus loin avec notamment des cas de rapt suivi de reconditionnement concernant des éléments féminins.
- culte du chef: Guzmán est défini comme la quatrième épée du communisme ( rien que ça!)
À sa Guerre Populaire-objectif d’instaurer une République Populaire de Démocratie Nouvelle- ce mouvement va y combiner le communisme Inca vanté par Mariátégui: en opposition au communisme de type soviétique ( moderne, industriel) il valorisait une collectivisme d’inspiration pré-colombien ( agraire), et, pour être plus explicite, que la solution est de s’inspirer des peuples dits arriérés- définis comme plus purs- que de ceux plus modernes qui finissent par se laisser corrompre par le matérialisme. Le Maoïsme se distingue des autres types de marxisme par son tiers-mondisme revendiqué et par un rejet des valeurs occidentales.
Nous sommes dans l’indigénisme brut, le vrai, celui qui se fédère autour des populations autochtones d’Amérique du Sud. Il est ironique de constater qu’à force de pousser sur sa gauche, avec un paternalisme mal dissimulé parfois, en réaction à une domination économique raciale et paternaliste, l’on peut créer- ou valider par repentance- une idéologie Völkish.
N’oublions pas qu’il y avait aussi le Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru d’obédience guévariste. La guérilla de ce dernier lui valait une côte de popularité nettement supérieur que son rival maoïste, étant donné qu’il ciblait d’avantage ses attaques tout en s’efforçant d’épargner les populations civiles. Túpac Amaru fut le dernier des souverains incas, dans une vaine tentative de repousser les Conquistadors espagnols il déclarera la guerre à l’envahisseur mais sera capturé et tué en compagnie de toute sa famille.
Le premier est celui de Fernando Belaúnde Terry qui dût suspendre pendant deux mois la constitution.
Le Sentier Lumineux entamera ses actions, symboliquement, juste avant le commencement des premières élections générales- organisée par le président Fernando Belaúnde Terry- qui devaient élire l’ensemble de l’exécutif et du législatif- avec l’attaque de la municipalité d’un village et l’incendie d’urnes de vote. Puis on franchit une étape avec des assassinats de membre de force de l’ordre ( policiers, militaires), de politiciens, de magistrats, ou de syndicalistes. On parle aussi d’un village dont les habitants auraient été exécutés à coup de pierre…pour « économiser les munitions ».
Ce à quoi, comme l’explique très bien l’article d’Amnesty International, des policiers se sentiront obligés de répondre à la violence par la violence: » Le 2 mars 1982, en trente minutes et avec peu d’armes lourdes, les guérilleros libèrent 78 de leurs compagnons et tuent deux gardiens. En représailles, la police abat trois militants du Sentier lumineux en convalescence dans un hôpital et tente d’en étrangler un quatrième. «
Les policiers provinciaux, ajoutons, étaient déjà mis en cause pour des comportements scabreux à l’égard des populations, et notamment des femmes qui sont encore et toujours les victimes collatérales des conflits: » Le cas de Giorgina Gamboa est un exemple significatif des violences perpétrées par les forces de police au nom de la lutte anti-terroriste sur une personne de sexe féminin. Il s’agit d’une Ayacuchana, native de la région d’Ayacucho, qui en 1981 fut accusée de terrorisme par un groupe des Forces Spéciales de la police péruvienne dénommé Sinchis, qui signifie « guerriers » en langue quechua, et qui a été violée par sept de ses membres. Suite à ce viol collectif, Giorgina Gamboa tomba enceinte mais l’avortement lui fut refusé. Incarcérée, elle accoucha d’une petite fille en prison. À l’époque des faits, Giorgina Gamboa avait 16 ans. Elle subissait des sévices chez elle et au commissariat de Vilcashuamán dans la région d’Ayacucho. A la suite de ce viol et parallèlement à sa grossesse, Giorgina contracta une sévère infection vaginale. Après cinq ans et trois mois passés derrière les barreaux, Giorgina fut finalement reconnue innocente. Son père, alors qu’elle séjournait en prison, fut assassiné et sa mère accoucha d’une autre petite fille après avoir été à son tour victime d’un viol. Giorgina Gamboa est l’une de ces femmes qui ont témoigné le premier jour des audiences publiques dans le département d’Ayacucho. Son témoignage fait partie du processus de réconciliation pensé par la CVR. Ce cas, après avoir été communiqué au grand public via sa retransmission télévisuelle, s’est converti en un paradigme de re-signifiation de sa propre vie. La capacité d’une femme à formuler un sens à sa vie malgré l’expérience traumatique qu’elle a endurée. «
Parallèlement, le Pérou joue de malchance, le voisin équatorien s’est remis encore à revendiquer des territoires amazoniens frontaliers.
Vient ensuite (1986-1992) le régime d’Alan Garcìa-Perez– le Mélenchon de l’époque- qui entendait appliquer le programme de l’Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine ( APRA).
Ça comprenait:
- Un interventionnisme étatique via collectivisation des terres et nationalisation des grandes entreprises.
- Un anti-impérialisme US
- Internationalisation du Canal de Panama
- Du Tiers-Mondisme
C’est durant cette période marquée par une hyperinflation que les affrontements atteindront le point de non-retour. Les réponses militaires se feront d’ailleurs de plus en plus brutales. À l’instar du SL, l’armée attendra une coopération totale de la population. Se sont formés aussi des escadrons de la mort, pour ne rien arranger.
En 1990, les péruviens auront le choix entre élire le grand écrivain Mario Vargas Llosa et Alberto Fujimori. Fujimori est issu de la diaspora japonaise, ingénieur agronome de formation, et promeut une sorte de libéral-conservatisme avec Cambio 90. Cambio signifiant Changement, et 90 pour l’année. Fujimori est adepte de ce que l’on nommera communément, plus tard, la Stratégie du Choc qui consiste à voir dans une série d’événements houleux la providence pour appliquer des mesures économiques drastiques et violentes au mépris des populations précarisées, mais aussi des fonctionnements culturels, institutionnels, assimilés de de manière caricaturale à de la déviance marxiste ( là où lesdits marxistes, les vrais, assimilent Keynes à l’ultra-libéralisme).
Grosso modo, en maîtres penseurs l’on retrouve Milton Friedman pour qui le rôle de l’état dans l’économie devait être minimal et l’Autrichien Friedrich Von Hayek pour qui le rôle de l’état doit être quasi-nul. Dans son ouvrage éponyme, Naomi Klein précise qu’on en retrouve tous les ingrédients chez ces odieuses juntes militaires alors précieuses alliées contre la menace Communiste. ( Suharto: jusqu’à trois millions de morts recensés; Pinochet: 3000 morts et disparus pour plus de 20 000 personnes torturées; Brésil: on ne sait pas trop; Argentine: 30 000 morts; Paraguay: 3 000 opposants tués, un bon million d’exilés politiques).
Fujimori remportera l’élection présidentielle de 1990. Le programme libéral proposé par Vargas-Llosa suscita un rejet massif chez la population péruvienne. Cependant, celui qu’on surnommera plus tard Chinochet ( contraction de Chinois, son surnom de base, et Pinochet), proposait déjà des réformes économiques plus violentes que son adversaire mais elles étaient proposées sous l’angle du conservatisme.
Importuné encore par le voisin équatorien, Fujimori parviendra à mettre un terme définitif au contentieux.
Pour gagner la bataille contre le Sentier Lumineux, Fujimori donnera carte blanche aux militaires. L’armée pouvait mettre en état d’arrestation et présenter devant un tribunal militaire toute personne suspectée d’être de près ou de loin lié à un mouvement terroriste. Il consent également à collaborer avec des Rondas, groupes d’autodéfenses constitués de paysans andins volontaires pour assurer leur propre sécurité et qui là se retrouvaient de surcroît exposés aux attaques du SL et du MRTA.
Aujourd’hui encore, les partisans de Fujimori disent que c’est grâce à lui que les activités des insurgés ont pu cesser. La résolution de la prise d’otage de l’ambassade japonaise par le MRTA est un exemple même de ce que le mot négociation pouvait signifier chez Fujimori. Les années Fujimori sont un mauvais souvenir pour une grosse majorité de péruviens. Sur le dossier lié à la lutte contre les groupes insurgés, des voix s’élèvent pour signaler des cas de bavures retenus par la Commission de la Vérité. Pendant que sous prétexte de lutte anti-terroriste son règne fera endurer une stérilisation de force de 300 000 femmes et la vasectomie de trente milliers d’hommes souvent d’origines indiennes, dans des conditions épouvantables, Fujimori sera cité parmi le cercle très fermé des personnalités les plus corrompues de la planète terre. Sa fille Keiko, qui en bonne fille a remué ciel et terre pour obtenir la grâce de son paternel, est également accusée d’avoir un attrait pour l’argent. On parle même d’un clan Fujimori, dont quelques membres seraient en cavales parce que recherchés par la justice pour enrichissement illicite et associations de malfaiteurs.
Quand son ex-femme, Susana Higuchi, l’accuse tout bonnement de l’avoir fait torturer aux électrochocs.
Son âme noire, Vladimiro Montesisnos, ancien chef des services secrets, est connu pour avoir eu recours à des méthodes crapuleuses dont des entretiens filmés- à l’insu de ses interlocuteurs- où il remettait des pots-de-vins, et à quoi s’ajoute des faits de contrebande ( armes pour des rebelles colombiens), d’abus de confiance, et d’intimidations vers des journalistes ainsi que des opposants. 7
Cerise sur le gâteau, Fujimori pratiqué un autogolpe ( coup d’état contre son propre gouvernement) pour, évidemment, s’arroger tous les pouvoirs.
Ainsi qu’il a été dit à maintes reprises, le Sentier Lumineux va surtout se retrouver très affaibli par la capture de son chef dans les bidonvilles de Lima. Le film Dancer Upstairs, de John Malkovitch, reprend point par point la traque faîte par les services de police ( sans nommer le pays dont il est question, l’ombre de Costa-Gavras plane). La capture de Gùzman a pour conséquence directe, aujourd’hui encore, d’avoir fractionné le mouvement en sous-groupe obeissant à des petits chefs n’ayant pas le charisme du leader originel.
C’est dire à quel point le culte d’un homme- ici Gùzman- devait avoir pris l’ascendant sur la cause.

» Lorsque l’on parle au sujet de la pensée, il n’est pas parlé de la pensée d’un individu, même si c’est un individu qu’il l’exprime. Les individus ne pensent pas. L’humanité est matière en mouvement, la pensée est simplement un reflet du mouvement. Il ne peut pas y avoir de pensée individuelle, ce que les individus pensent est l’expression du désir et de la nécessité. « . Ces propos sont de Gùzman en personne. Lorsque des petits cercles de gens commencent à penser en lieu et place de la majorité, qu’ils tiennent pour des imbéciles, ou soyons francs pour de la merde, et qu’ils commencent à agir de manière à vouloir imposer aux autres leurs idéaux c’est là que ça commence à se gâter. Mais ça ne suffit pas, loin de là. Pour qu’une idéologie se propage il faut qu’elle gagne des coeurs parmi une population ou bien là parmi des couches de population qui s’estiment oppressées ( et qui le sont parfois ou souvent). Car les conflits prennent aussi par les agissements des gens, lesquels peuvent trouver leurs sources dans une période T de l’histoire qui a généré du ressenti ( ici la conquête du Pérou qui a débouché sur une mise en infériorité des populations amérindiennes), ou bien même dans des contentieux qui n’ont ni queue ni tête. Avec le temps, les exactions du Sentier Lumineux et de ses ennemis apparaissent au grand jour dans un continent sans cesse marqué par des populismes, qui porte encore les stigmates des dictatures, ou qui peuvent souffrir de la violence liée au narcotrafic ( avec lesquels les actuels membres du Sentier Lumineux entretiennent des liens étroits), tandis qu’un bouffon vacataire à la Maison Blanche a un peu tendance à considérer les mêmes sud-américains comme des Untermenschen.
PS: quelques parallèles sont possibles avec le PKK Kurde initialement maoïste lui-aussi.
Une réflexion sur “Brève histoire du Sentier Lumineux”