Le départ d’un homme de son univers familier peut être inévitable, mais son esprit demeure vivant dans les actes et les gestes de ceux qui lui survivent, dans le souvenir de ceux qu’il laisse derrière-lui, ses amis et sa famille, dont les vies refléteront les leçons qu’il leur a transmises. Tel sera son héritage le plus précieux.
Nous commençons à la veille de la débâcle française de 1939, contexte durant lequel un certain Adolf Hitler, alors chancelier du IIIème Reich, est moqué, haï, ou détesté, selon les tendances politiques. Pendant que l’Allemagne motorise son armement comme jamais, pour beaucoup de diplomates et d’officiers de salon un petit caporal de bohême ne peut faire de mal à personne. On aime se raconter des histoires illustrant la bravoure héroïque de tel ou de tel peuple d’antan face aux envahisseurs, bravoure qui serait triomphante à coup sûr…
Cependant, il y a des âmes pour voir la catastrophe arriver.
C’est ainsi que nous faisons connaissance avec Nicolas Morath. Nicolas Morath est issu de la noblesse hongroise et s’est exilé sur Paris. Inversément au cliché du magyar cruel, barbare, c’est quelqu’un d’extrèmement cultivé et d’empathique. La quarantaine, publiciste, et aimant folâtrer avec de jolies filles loin d’être bêtes. Il s’amourache d’une actrice d’origine italo-argentine. Nicolas Morath a pour oncle un diplomate, le comte Polanyi, qui aime aussi la bonne chère: restaurants, discussions amicales, et qui a le sens de la famille vu qu’il veut s’assurer que ses prôches ne manquent de rien.
Cela c’est la façade du diplomate.
En réalité, le même diplomate est anxieux et réaliste au sujet de l’expansion Hitlérienne au point d’avoir organisé un réseau. Au cours d’un dîner, ce dernier demandera un service à son neveu: aider un ami à règler un problème de passeport.
Et c’est parti pour notre héros qui va devoir voyager à travers l’Europe sous des identités fictives, en invoquant des motifs de séjour différents. Les escapades de Morath sont pour l’auteur un prétexte pour prendre la température en ces pays de l’Est, dont certains faisaient parties de l’empire Austro-Hongrois, Austria Est Imperare Universo- Alle Erde Österreich Untertan, qui, d’abord proche des modèles Allemand ( NSDAP) et Italien ( Fasciste) via des états-nations militarisés contestés/appuyés par de très ferventes milices patriotiques, seront partie intégrante de cet infâme Bloc de L’Est sous dominance soviétique ( avec des administrations où il ne sera pas rare de trouver des fonctionnaires passés d’une époque l’autre).
Ainsi, la Hongrie est sous l’autorité de l’Amiral Miklos Horthy de Nagybánya, resté longtemps amiral sans mer, qui joue un drôle de jeu. D’abord, c’est tout un concours de circonstances qui l’a porté au pouvoir: la chûte du l’abdication de l’archiduc Joseph-Auguste de Habsbourg-Lorraine, les exactions de Béla Kun visant à appliquer à la lettre ce programme de suppressions des classes que mettra en oeuvre plus tard la bande à Pol Pot ( et les origines juives du leader communiste seront prétexte à fortifier un antisémitisme déjà ancré ), des troubles régionnaux aux désormais ex-frontière d’un empire implosé…

En Roumanie, sous le régime autoritaire d’Antonescu, c’est la Garde de Fer de Codreanu qui séme la terreur et qui fait passer le régime nazi pour modéré ( lire les notes d’Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem).

Est évoqué le cas de la Bulgarie alors désislamisée, car ne faisant plus partie de L’Empire Ottoman, ou celui de L’Autriche- tout au début du livre- qui est la première à suivre les pas du Géant Allemand.
Dans tous ces pays sévissent des milices porteuses d’idéologies Völkish. Toutes opposent de façon agressive l’habitant sédentaire au nomade, ou plus explicitement l’individu issu d’un peuple génétiquement pur- les Daces pour la Roumanie, les Magyars pour la Hongrie- au Sémite cosmopolite. Toutes respectant ou admirant le Génie d’Hitler. Ce qui n’est pas sans rappeler, au jour d’aujourd’hui, certaines formations identitaires ou ultranationalistes ouvertement racistes inféodés à l’actuel Maître du Kremlin ( qui, sans s’être illustré de quelque façon par des propos attestant d’une supériorité raciale russe, c’est pas l’inverse non plus, ne semble pas tellement voir d’inconvénients pour les utiliser à ses fins).
Pèse aussi la menace soviétique par l’intermédiaire d’agents du NKVD à la manoeuvre, dissimulés certes, mais toujours dans l’ombre pour planifier des actions clandestines ( enlèvements, assassinats).
Les escapades du personnage principal, au coeur d’intrigues ficelées, vont être aussi le prétexte pour décrire des pays en pleines mûtations mais où les traces du passé demeurent encore et encore, même derrière des décors de façade. L’exil fait toujours s’entrechoquer le présent et les réminescences souvent douloureuses. Mais l’exil, lorsqu’il est massif, fait aussi entrevoir toute son horreur: car une masse d’immigrés peut aussi bien comprendre des individus pas très clairs que des journalistes opposés à la nouvelle politique de leurs pays, ou simplement des gens qui étaient très bien insérés socialement parlant jusqu’au jour où un nouveau pouvoir décide d’en faire des ennemis à partir de critères ethniques.
Où l’on voit aussi que l’élaboration d’un réseau a pour seule règle, qui prévaut, de déterminer quelles sont les bonnes personnes auxquelles il faut penser pour des formalités, des services, ou des tâches bien précises. Ni plus, ni moins.