Actuellement, le gros des éditeurs misent sur des polars où un officier de police désabusé ( ou un inspecteur selon l’origine géographique du récit) va enquêter chaque fois sur le pire des tueurs en série jamais rencontré durant sa carrière où il n’a eu de cesse de se confronter à une hiérarchie con existe la variante féminine, la policière qui ne sait plus où donner de la tête entre ses enquêtes et son nid familial). Naturellement, il peut y avoir aussi du très bon ( mais en ce cas ça déroge et ce n’est aucunement aseptisé). Les auteures anglo-saxonnes nous bassinent la tête avec leurs cruches cul-cul la praline qui s’amourachent de personnages aussi lisses que leurs lotions capillaires et qui hurlent face à des maniaques poussant des ricanements niais.
Dans ce pays où la fichue manie de mettre en avant la belle personne d’un auteur par rapport à son texte prévaut, c’est déjà bien qu’un écrivain, au moins un, daigne s’effacer vraiment devant son œuvre. S’intéresser à la vie de l’écrivain parce que l’on aime son livre, c’est comme s’intéresser à la vie du canard parce que l’on aime le foie gras ( Margaret Atwood). Et il a bien fait. Comme antécédents littéraires DOA ( Dead On Arrival, ça se traduit par « mort à l’arrivée ») on lui connaît La Ligne de sang qui narre l’enquête retors sur les agissements d’un individu étrange, Citoyens Clandestins est un thriller qui combine les enjeux géopolitiques avec l’espionnage industriel et le journalisme d’investigation, ou encore Le serpent aux mille coupures qui illustre un règlement de comptes entre mafieux colombiens et italiens…en Haute-Garonne.
Si on part du principe que l’Absolue Réalité est une brute perverse qui se joue des idéologies et des états d’âme de chacun, alors DOA remplit son contrat.
Point de héros incarnant l’idéal occidental face à l’Alliance du Mal. On est loin de la vision manichéenne des Clancy, Forsyth, et Ludlum. Les choses sont plus complexes, mais pour faire simple on va dire qu’elles puent. En se gardant de se proclamer spécialiste DOA compose un récit polyphonique mettant en scène une quantité de personnages en proie à leurs contradictions, à leurs échecs, à leurs fautes, et maudissant souvent les systèmes dont ils sont les pions interchangeables.
Ainsi, le personnage de Sher Ali devient l’un des antagonistes principaux par un concours de circonstances. C’est, à la base, un ancien guerrier très respecté et redouté en Afghanistan. Pourtant, il éprouve envers sa fille Badraï des sentiments qu’il ne convient guère d’afficher dans une société tribale où le destin d’une femme est vite tracée. Pour dire, si il la voit avec un » fichu torchon sur la tête » il serait capable d’exploser le premier des traditionnalistes venus. Elle est la prunelle de ses yeux, il veut passer le reste de sa vie à la chérir. C’est oublier que le pays est un véritable bourbier depuis le renversement de Mohammed Zaher Shah ( qui lui aussi souhaitait l’émancipation des femmes, à l’instar du Shah d’Iran). Un assaut lui ravira à jamais et sa préférée et un autre de ses enfants, le laissant brièvement blessé. Et là ça se complique pour lui, car il est recueilli par un taliban qui lui fera donner les soins nécessaires et lui apprendra le sort funeste de la chair de sa chair. En Pachtoune le mot Pukhtu signifie » avoir de l’honneur », mais à la différence de nos sociétés occidentales où se faire dire qu’on » n’a pas d’honneur » équivaut à coup d’épée dans l’eau, là-bas, dire à quelqu’un qu’il n’a pas de Pukhtu c’est lui jeter la pire injure. Son désir de vengeance le conduira donc à se joindre à une alliance obscure entre Talibans et contrebandiers seigneurs de guerre, et se livrer à des exactions qui donnent froid dans le dos ( tortures, décapitations, viols).
Mais ce dont ne vous parlent pas les médias mainstreams ce sont les raisons pour lesquelles les Talibans et leurs alliés objectifs – de circonstances arrivent autant à mobiliser du monde.
De l’autre côté, toujours en Afgha, il y a les membres d’une société militaire privée. Leurs sobriquets en disent long sur leurs personnalités. Il y a Fox ( Fennec dans Citoyens Clandestins, alias un ancien agent harki de la DRM trahi par ses supérieurs en pleine infiltration dans les milieux islamistes), qui à force d’être soumis aux aléas du double-jeu et de la trahison doit sa survie à toujours flairer du museau à ses risques et périls, et par rapport à l’opus précédent il a délaissé sa rage pour une mélancolie intérieure qui n’est pas sans rappeler le fatalisme nietzschéen ( son amour impossible avec une femme afghane à moitié défigurée et contrainte à la prostitution; ses vacances en Thaïlande où il ne se reconnaît plus dans le genre humain; son souvenir lointain d’avoir eu une religion). Ensuite nous avons Ghost, version sous amphétamines d’Animal Mother ( Full Metal Jacket) et du Sergent Barnes ( Platoon), cramé, il a sombré, il est irrécupérable, violent ( verbalement, physiquement, sexuellement, psychologiquement), et son supérieur est dubitatif quant à son avenir au sein de l’unité. Le supérieur en chef, parlons-en, Voodoo qu’il s’appelle…Chargé d’assurer les intérêts des clients d’une société militaire usant de moyens condamnables aux yeux de tous, on découvre également qu’il en a profité pour créer…un réseau de trafic d’héroïne.
La plume de l’auteur nous crible d’informations: données stratégiques, géopolitiques, traçage des différents systèmes de paiements ( dont ceux des très controversés Hawaladars), bruits d’alcôves, repérages.
On vous la refait. Les attentats du 11 Septembre ont, aux yeux de l’administration néo-conservatrice américaine, justifié l’invasion de l’Afghanistan et sous couvert d’instauration de la Démocratie pour chasser les vilains talibans c’est une narcocratie qui a été instauré avec les complicités des Seigneurs de Guerre. Ce même trafic d’héroïne dont il est question nous emmènera en Côte d’Ivoire, où un entrepreneur implanté sur Abidjan ( impliqué), va se voir lâché par son associé iranien en plein heurts ( le pouvoir de Gbago commence à vaciller, nous sommes aux alentours de 2008) et se retrouve contrait à devoir faire un marché avec deux agents de la D.G.S.E. La D.G.S.E, la grande piscine, où on a beau y noyer les secrets…où les cadavres finissent toujours par remonter à la surface. On retrouve un ancien haut-gradé de la D.G.S.E qu’on avait connu plutôt manipulateur dans Citoyens Clandestins, et qu’on découvre salement pervers, organisateur de soirée dépravées auxquelles se joignent tout le gotha de la pseudo-élite technocratique pour qui fusionner l’ A.N.P.E et les ASSEDIC afin de créer le Pôle Emploi est pareil que regrouper la Direction Centrale des Renseignements Généraux et la Direction de Surveillance du Territoire pour donner ce fameux French Bi Aïe qu’était la D.C.R.I (Direction Centrale du Renseignement Intérieur) renommée depuis- pompeusement s’il-vous-plaît- D.G.S.I ( Direction Générale de la Sécurité Intérieure)- et ça n’est pas prêt de s’arranger avec ce Premier Sinistre pyschorigide rêvant d’un Pentagone à la française…pente à gomme plutôt. L’homme est à la tête d’une entreprise chimique, a pour maitresse la fille de son associé au nobiliaire Vieille France, et est en cheville avec un mafieux albanais brutal auquel il n’hésitera pas à » faire tourner » sa maitresse.
Soumises aux Traditions rétrogrades en Orient et au consumérisme qui leur fait miroiter de belles choses les personnages féminins finissent par concéder qu’elles doivent satisfaire les hommes. Bordels militaires, partouzes en soirées branchées. Sade et Bret Easton Ellis approuvent. Le personnage de la journaliste cocaïnée ( ou journalope diraient certains) soumise à un accord tacite avec les services secrets, et qui se heurte autant à ses employeurs qu’à sa famille musulmane traditionnelle, en est un exemple…
Reste le courage- ou l’inconscience- d’un journaliste canadien révolté par les politiques occidentales, ou le constat d’un agent de la D.G.S.I reconnaissant que surveiller de l’opposant politique au gouvernement c’est franchement débile.
Une réflexion sur “Pukhtu Primo”