A Serbian film ou l’esthétique de l’irregardable vis-à-vis de laquelle on est hypocrite.

AS3

C’est toujours la même problématique qui se dégage. Fallait-il aller aussi loin? Fallait-il vraiment pousser le bouchon jusque-là? L’artiste peut-il vraiment faire tout ce que bon lui semble au mépris d’une bonne pensée qui devrait s’appliquer en tout et pour tout? Mais comment peut-on faire un film pareil? Et la souffrance des victimes dans tout ça? Quand on pense que c’est tellement mieux de positiver! Ou encore:  » moi quant je vais au cinéma c’est pour me divertir, pas pour me prendre la tête! ».

 Pour la faire courte l’histoire raconte comment un ancien acteur de films pornographiques va devoir rempiler pour tourner des productions d’un nouveau genre artistique – ce sont pas les termes exact du contrat, mais ça rejoint les formules soigneusement réfléchies par des spin doctors qui sont en gras sur des tracts. Ici nouveau genre artistique signifie implicitement snuff movie, films que certains spécialistes continuent de tenir pour une légende urbaine ( qu’ils/elles tapent sur youtube Syrian rebells kills). Séquence par séquence le protagoniste principal basculera dans l’horreur, aussi bien celle du monde extérieur que la sienne, et lorsqu’il voudra faire marche arrière ce sera trop tard…

A Serbian film est une des productions les plus insoutenables des quinze dernières années. Si on compare avec d’autres productions combinant gore et réalisme c’est à coup sûr la mieux scénarisée, plus subtile que le sobre reboot féministe rape&revenge d’I spit on your grave , elle va plus à l’essentiel que le trip experimentalo-onirique de Philosophy of a knife retraçant les expériences de l’Unité 731, et évite le décousu d’un Snuff 102 qui sans l’arrêt cardiaque d’un spectateur serait jeté dans les oubliettes mentales. Il y a une esthétique de l’irregardable.  En l’état actuel il est interdit de vente en France en raison des scènes ultra-choquantes, et faut dire que ça ne fait pas dans la dentelle: meurtres sanguinolents, viols à outrance dont celui d’un enfant et d’un nourrisson qui vous soulèvent le coeur ( c’est le cas de le dire), nécrophilie, bref tout ce pourrait redouter de voir les adeptes d’un gourou du net voyant Satan de partout ( et auxquels on conseille vivement de se rapprocher de leurs CMP de secteur, lesquels existent justement pour détecter les pathologies dite psychiatriques et peuvent  » éventuellement » définir la prise en charge adéquate).

Son réalisateur, appuyé par les producteurs du film, est parti du postulat que suite aux guerres ayant provoqué l’éclatement de la Yougoslavie la société Serbe s’est réfugiée dans le consumérisme, que le consumérisme est devenu plus qu’un mot d’ordre: une religion! Que les sociétés de productions serbes, à l’instar des nôtres, fabriquent des produits destinés à caresser le poil du spectateur…et que poussé à l’extrême le consumérisme pouvait révéler toutes les déviances enfouies dans le genre humain, comme en temps de guerre à ceci près que celles-ci deviennent des catégories ou sous-catégories d’articles de rayons et qu’au final le corps d’un être humain devient une denrée périssable…aux choix: équarrie, décapitée, hachée-menue.

A Serbian Film

Hélas, comme nous sommes dans une ère où les gens prennent tout pour argent comptant, il a fallu qu’un programmateur de festival espagnol soit accusé de faire promotion de pornographie juvénile et fasse l’objet de poursuites judiciaires à la demande d’une association de mange-bon-dieu, que les autorités norvégiennes se basent sur les deux scènes polémiques pour interdire le film sans chercher à comprendre qu’elles mettent en scène l’Horreur. Comme il est dit plus haut sa vente est interdite sur notre territoire, mais il y a possibilité de le commander. Alors que ce n’est que du cinéma, que rien n’est vrai. Bien entendu, il y a de quoi être critique. On peut tout à fait comprendre que des distributeurs n’aient pas choisi d’en assurer la promotion. Peut-être que cette surenchère présente en seconde partie du film dessert la démarche, pourtant louable. En 1997, Johnny Deep avait choisi une approche inverse avec The Brave, qui racontait les sept derniers jours d’un américain d’origine indienne qui acceptait de donner sa vie dans un snuff movie pour mettre les siens à l’abri du besoin. L’inclassable et visionnaire Vidéodrome de David Cronenberg qui avait recours aux hallucinations pour jouer sur l’ambivalence réalité/fiction. Plus frontal fut le 8mm de Joël Schumacher où Nicolas Cage se transformait en justicier afin de mettre un terme aux activités d’un petit réseau. Des approches il y en a. Le mieux, c’est toujours lorsque plusieurs écoles  différentes s’affrontent. Hélas, encore hélas, il existe ce qu’on pourrait appeler le phénotype du consommateur mécontent, lequel vous prétexte maintes choses pour en fait mettre en avant son Moi-Je, si Moi-Je estime que c’est pas bon pour les enfants alors il ne faut pas diffuser le film. Comme dans bien d’autres affaires audiovisuelles nous finissons par nous retrouver avec un petit nombre d’individus qui décident pour le reste, au mépris de la loi. Déduisons que les spectateurs sont à traiter comme des enfants et qu’ils devraient regarder Oui-Oui au pays des bobos. Dans son ouvrage, la société du risque, le sociologue Ulrich Beck nous décrit bien le contresens que prenne nos sociétés modernes, en têtes desquelles nous avons et aurons des responsables qui ne veulent pas prendre de risque. D’où les autorités culturelles de notre pays ont décidé d’interdire ce film à la vente pour ces motifs indiqués plus haut. Il faut savoir aussi que la certification interdit au moins de dix-huit ans ( Classé X, ça ne concerne pas que le genre pornographique), qui pis est décidée par la Commission de Classification des Oeuvres Cinématographiques, s’accompagne d’une obligation de non-promotion: c’est-à-dire pas d’affiches dans les lieux publics, ou pas de bande-annonces.

L’hypocrisie dans tout ça? Nos salles obscures diffusent souvent des films d’horreur aux scénarios débiles, où on y voit des cruches poursuivies par des malades mentaux armés de tronçonneuses. Les six Saws, bien plus sanguinolents et inutiles ( ce n’est que mon humble avis), ont bénéficié de promotions massives. Ah mais vous comprenez rien vous… c’est Hollywood, Hollywood. Donc c’est plus conventionné, ça rentre dans une grille de lecture. En fait si ça se serait intitulé An American Film il y aurait de grandes chances que ça fasse un tabac au box-office. Deuxièmement, tous ces gens qui vont débourser des dizaines d’euros pour consommer des images de supplices tout en se baffrant de sucreries caloriques…quand bien même c’est simulé on n’est guère éloigné du pervers qui aime mâter des snuffs movie.  » Oh putain, t’as vu comme il la viole après l’avoir carbonisée…ouais, trop bon. J’ai revu la scène plusieurs fois. Et attends le moment où il va trucider les mecs en les suspendant à des crocs-de-bouches. C’est pas culte ça! »

Cela rejoint les raisonnements du très cru 120 journées de Sodome de Sade, où ce dernier appuyait déjà- nous sommes en 1785, live to Bastille- qu’une possession d’argent considérable et qu’un peu de connaissances ( juridiques, religieuses) permettaient de détourner la loi pour satisfaire ses propres plaisirs.

Mention spéciale à l’acteur principal aux antipodes de son rôle dans Chat noir, chat blanc.

Ensuite la censure ça peut aussi empêcher de se poser des questions: jusqu’où peut-on aller pour subvenir aux besoins des siens[…] Qui sont les consommateurs de ce  » genre cinématographique  » inédit puisque pour en avoir un chez soi il faut passer commande et mettre le prix: de 20 000 à 1 millions d’euros? ( Pas avec mon RSA en tout cas!).

Pour terminer les histoires de snuff movie on en parle depuis la sortie de Cannibal Holocaust, où son réalisateur a dû prouver devant un tribunal que non ses acteurs/actrices n’avaient pas été dépecés par une tribu amérindienne cannibale, ceci en les faisant appeler à la barre comme témoins ( par-contre les tueries d’animaux c’était du réel 😦 ). Ce film qui sera à la base d’un sous-genre horrifique colportant les pires clichés sur les tribus amazoniennes. Sinon, pour revenir aux Snuffs Movie, on en entendra parler aux cours des affaires dites de pédocriminalité telles que Zandvoort* et c’est vraiment dans les années 2000- affaire Kuznetsov– que leur existence sera officialisée dans la rubrique faits divers.

 

 

* C’est drôle en Espagne, au Portugal, aux Bénélux, en G.B, les autorités ont des doutes sur l’existence de tels réseaux. En France, visiblement non. C’est comme le nuage radioactif de Tchernobyl ça doit s’être arrêté vers nos frontières.

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